ULTIMA
« Il est plus aisé de dire des choses nouvelles que de concilier celles qui ont déjà été dites (Vauvenargues). Avec cette plume donc il poursuit l’inventaire de ce qui ne lui reste plus à dire (Pinget). Il est simplement dommage que nous n’ayons pas commencé plus tôt : nous y serions ...
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créée il y a 7 jours · modifiée il y a environ 13 heuresLa Cave
Der Keller
Sortie : 1976 (France). Autobiographie & mémoires
livre de Thomas Bernhard
Annotation :
Le samedi est terrible, le dimanche terrifiant, le lundi apporte le soulagement
Les samedis après-midi, je les ai toujours ressentis comme un temps très dangereux pour tout le monde ; le mécontentement de soi-même et de tout en général et en particulier, la conscience soudain d’être, sa vie durant, effectivement exploité et absurdement au monde produisaient cet état d’esprit auquel la plupart s’abandonnaient, dans lequel ils se plongeaient à une profondeur effrayante. La plupart des hommes sont habitués à leur travail, leur occupation, à quelque occupation, quelque travail réguliers, si ce travail, cette occupation s’arrêtent ils perdent instantanément leur contenu et leur conscience et ne sont plus autre chose qu’un état de désespoir morbide. Il en est de l’individu comme de la plupart des gens. Ils pensent qu’ils se régénèrent mais en réalité c’est un vide dans lequel ils deviennent à moitié fous. Aussi les samedis après-midi, tous en arrivent aux idées les plus folles et tout se termine toujours d’une façon peu satisfaisante. Ils commencent à déplacer les armoires et les commodes, les tables, les fauteuils et leurs propres lits, ils brossent leurs habits sur les balcons, ils cirent leurs chaussures comme s’ils étaient pris de démence. Les femmes montent sur les banquettes au-dessous des fenêtres et les hommes descendent à la cave et y soulèvent des tourbillons de poussière avec leurs balais de paille de riz, des familles entières croient être obligées de faire des rangements, se précipitent sur le contenu de leur habitation, le dérangent et au bout de cette occupation elles en ont elles-mêmes l’esprit dérangé. Ou bien les gens se couchent et s’occupent de leurs infirmités, s’évadent et s’envolent dans leurs maladies qui sont des maladies permanentes qu’ils se rappellent les samedis après-midi, quand le travail a pris fin. Les médecins connaissent cela : les samedis après-midi, on requiert leurs services comme à aucun autre moment. Quand le travail s’arrête, les maladies commencent, brusquement les douleurs sont là, le fameux mal de tête du samedi, les battements de cœur du samedi après-midi, les défaillances subites, les accès de fureur. Toute la semaine le travail et même une simple occupation jugulent, apaisent les maladies, le samedi après-midi elles se font sentir et l’être humain perd aussitôt son équilibre...
https://editionsultima.blogspot.com/2023/10/le-samedi-est-terrible-le-dimanche.html
Baltiques
Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004
Sortie : juillet 1985 (France). Poésie
livre de Tomas Tranströmer
Annotation :
Pas de mots
Trött på alla som kommer med ord, ord men inget språk
for jag till den snötäckta ön.
Det vilda har inga ord.
De oskrivna sidorna breder ut sig åt alla håll!
Jag stöter på spåren av rådjursklövar i snön.
Språk men inga ord.
Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
La vie sauvage n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Un langage mais pas de mots.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/09/pas-de-mots.html
Critique de la violence
Sortie : 14 mars 2012 (France). Essai, Articles & chroniques
livre de Walter Benjamin
Annotation :
L’heure de Zarathoustra
Quand midi approche, les ombres ne sont encore que des bords noirs, nets, au pied des choses, prêtes à se retirer sans bruit, à l’improviste, dans leur terrier, dans leur mystère. Alors est venue, dans sa plénitude concise, ramassée, l’heure de Zarathoustra, du penseur au « midi de la vie », au « jardin de l’été ». Car c’est la connaissance qui dessine le contour des choses avec le plus de rigueur, comme le fait le soleil au plus haut de sa trajectoire.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/09/lheure-de-zarathoustra.html
Nouvelles et récits – Œuvres complètes I
Sortie : 2018 (France). Recueil de nouvelles
livre de Franz Kafka
Annotation :
Je sais nager comme les autres
Je sais nager comme les autres, c’est seulement que j’ai une meilleure mémoire que les autres, je n’ai pas oublié les temps où je ne savais pas nager. Mais comme je ne les ai pas oubliés, il ne me sert à rien de savoir nager et en fin de compte je ne sais pas nager.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/07/je-sais-nager-comme-les-autres.html
Permis de séjour (1983)
1977-1982
Sortie : 3 janvier 1986 (France). Récit, Biographie
livre de Claude Roy
Annotation :
Le riz n’est pas encore cuit
Un lettré chinois reçoit un jour d’un Immortel le don d’un oreiller magique. Il venait de mettre à cuire une marmite de riz. Il pose sa tête sur le coussin et s’endort. Il rêve pendant des années, il rêve qu’il voyage, est amoureux, devient ministre de l’Empereur, se marie, a dix enfants, accumule le savoir, les expériences et la sagesse. Quand il se réveille, il est blanchi, chenu, très vieux, approche des cent années. Il se lève, va goûter le riz, qui n’est pas encore cuit. L’Immortel est sur le pas de sa porte, qui lui dit : « Les affaires de ce monde ne sont pas différentes ».
https://editionsultima.blogspot.com/2023/06/le-riz-nest-pas-encore-cuit.html
Le Jardin de reconnaissance (1997)
Sortie : 12 juin 1997. Théâtre
livre de Valère Novarina
Annotation :
En cas d’action ?
LE BONHOMME DE TERRE.
Toute syllabe que je te dis ne m’avance pas toujours d’un son identique vers le sens d’un mot. Et cependant, chaque mot que je te prononce donne à manger à ma bouche de sortie.
LA FEMME SÉMINALE.
Et en cas d’action ? Si l’action venait à manquer ?
LE BONHOMME DE TERRE.
En cas d’action, nous mangerons les restes de ce que nous avons dit. Peut-être que je quitterai ce monde sans m’en être sorti : mais en tout cas, je ne vais pas m’en aller par le verbe entrer.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/06/en-cas-daction.html
Le Bestiaire (1991)
Sortie : 1991 (France). Recueil de nouvelles
livre de Jean Giono
Annotation :
Voir ci-dessous
La pensée romanesque du langage
Sortie : 24 septembre 2004 (France). Essai
livre de Philippe Dufour
Annotation :
Ah
Kent : Ah !
(William Shakespeare, 'Le Roi Lear'. Cité par Jean Giono.)
— Ah !
— Pourquoi dites-vous : ah ?
(Victor Hugo, 'Les Misérables'. Cité par Philippe Dufour.)
https://editionsultima.blogspot.com/2023/06/ah.html
Un artiste de la faim (1922)
tous les textes parus du vivant de Kafka - 2
Ein Hungerkünstler
Sortie : 1990 (France). Recueil de nouvelles
livre de Franz Kafka
Annotation :
[En lieu et place du volume IV des Œuvres complètes]
Deux maisons
L’écriture se refuse à moi. D’où le projet de recherches autobiographiques. Pas une biographie, mais la recherche et le repérage d’éléments constitutifs aussi infimes que possible. À partir d’eux, j’entends ensuite me construire, à la manière d’un homme dont la maison est précaire et qui veut en construire une autre juste à côté, sûre quant à elle, en réutilisant si possible les matériaux de l’ancienne. Scénario désastreux : ses forces l’abandonnent au beau milieu de la construction , et voilà qu’il possède désormais, au lieu d’une demeure certes précaire, mais entière, une maison à demi détruite et une autre à demi construite, donc rien du tout. Ce qui s’ensuit est pure folie, quelque chose comme une danse cosaque entre les deux maisons, au cours de laquelle le cosaque laboure et déblaie la terre avec les talons de ses bottes jusqu’à ce que sa propre tombe s’ouvre sous ses pieds.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/05/deux-maisons.html
La memoire aime chasser dans le noir
Sortie : avril 1993 (France).
livre de Gérard Macé
Annotation :
Au four et au moulin
Si peu de mots, dans les rêves, qu’on prend facilement cette aphasie pour un don de prophète, et le moindre calembour pour un fragment d’Héraclite, dont la signification tout entière est dans une enfance à déchiffrer.
Nous sommes devenus l’oracle et l’interprète à la fois : au four et au moulin, de jour comme de nuit.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/05/au-four-et-au-moulin.html
Derniers cahiers
Sortie : 2017 (France). Récit, Essai
livre de Franz Kafka
Annotation :
dit l’artiste de la faim
« J’ai toujours voulu que vous admiriez mon jeûne », dit l’artiste de la faim. « Nous l’admirons d’ailleurs », dit l’inspecteur, fort prévenant. « Mais vous ne devriez pas l’admirer », dit l’artiste de la faim. « Bon, alors nous ne l’admirons pas », dit l’inspecteur. « Pourquoi donc ne devons-nous pas l’admirer ? » « Parce que je dois jeûner, je ne peux pas faire autrement », dit l’artiste de la faim. « Ça alors », dit l’inspecteur, « pourquoi ne peux-tu faire autrement ? » « Parce que » dit l’artiste de la faim, relevant un peu sa petite tête et parlant avec les lèvres pressées comme pour un baiser tout contre l’oreille de l’inspecteur, afin que rien ne se perdît, « parce que je n’ai pas pu trouver les aliments qui me plaisent. Si je les avais trouvés, crois-moi, je n’aurais pas fait d’histoires et je me serais rassasié comme toi et tous les autres. »
https://editionsultima.blogspot.com/2023/05/dit-lartiste-de-la-faim.html
Le Cornet à dés (1917)
Sortie : 1917 (France). Poésie
livre de Max Jacob
Annotation :
Générosité espagnole
Par un Espagnol de mes amis, le roi d’Espagne m’a fait donner trois gros diamants sur une chemise, une collerette de dentelle sur une veste de toréador, un portefeuille contenant des recommandations sur la conduite de la vie. Voitures ! boulevards, visites chez des amis : la bonne couchera-t-elle avec moi ? M. S. L. a tendu la main à G. A. qui la lui a refusée sans motifs. Je suis raccommodé avec les Y... Or, voici qu’à la Bibliothèque Nationale je m’aperçois que je suis surveillé. Quatre employés s’avancent vers moi avec une épée de poupée chaque fois que je cherche à lire certains livres. Enfin un tout jeune groom s’avance : « Venez ! » me dit-il. Il me montre un puits caché derrière les livres ; il me montre une roue de planches qui a l’air d’un instrument de supplices : « Vous lisez des livres sur l’Inquisition, vous êtes condamné à mort ! » et je vis que sur ma manche on avait brodé une tête de mort : « Combien ? dis-je. – Combien pouvez-vous donner ? – Quinze francs. – C’est trop, dit le groom. – Je vous les donnerai lundi. » La générosité du roi d’Espagne avait attiré l’attention de l’Inquisition.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/05/generosite-espagnole.html
Mendiants
Sortie : mars 2006 (France). Essai
livre de Robert Louis Stevenson
Annotation :
Il y a deux mots que nous devrions éliminer de notre vocabulaire : reconnaissance et charité
Il existe une histoire amusante au sujet d’un Français bon à rien et phraseur, qui, accusé d’ingratitude, s’écria : « Il faut savoir garder l’indépendance du cœur ». Je dois avouer que je partage son sentiment. La gratitude en-dehors de tout lien de familiarité, la gratitude autre qu’élément indéfinissable d’une amitié est quelque chose de si proche de la haine que je ne veux même pas essayer de préciser la différence. Jusqu’à ce que je rencontre un homme satisfait d’avoir une dette de reconnaissance envers un autre, je ne cesserai de douter du tact de ceux qui offrent si volontiers leur aide. Quel art difficile que celui de donner, même à nos amis les plus proches ! et combien notre savoir-vivre est mis à l’épreuve lorsque nous recevons ! Voyez comment, obligé ou obligeant, nous faisons comme si de rien n’était, et comment, recevant, nous débitons un discours faussement enjoué. Et alors qu’il s’agit d’un acte si difficile et si douloureux entre amis intimes, nous voudrions pouvoir l’accomplir pour le bien de quelqu’un qui nous est totalement étranger, persuadé qu’il sera transporté de gratitude à notre égard. La pire des choses que vous puissiez faire à un homme est de l’accabler du fardeau que représente une dette de reconnaissance, et c’est pourtant ce que d’emblée nous envisageons de faire ! Mais ne nous y trompons pas : à moins qu’il ne soit totalement écrasé d’humiliation par sa situation, tout son être va trembler de colère, et notre générosité ne pourra que le faire grincer des dents.
Il y a deux mots que nous devrions éliminer de notre vocabulaire : reconnaissance et charité. Dans des relations humaines authentiques, il n’y a d’aide possible que par amitié, sinon on ne lui accorde aucune valeur ; une aide ne peut être donnée que par une main amie, sinon elle est acceptée de mauvaise grâce. Nous sommes tous trop fiers pour recevoir un cadeau offert tout à fait gratuitement : il nous faut à tout prix donner l’impression de le payer, ne serait-ce, si nous n’avons rien, que par le plaisir que peut procurer notre compagnie. Et c’est là que l’on voit à quelle situation pitoyable l’homme riche se trouve confronté...
https://editionsultima.blogspot.com/2023/04/il-y-deux-mots-que-nous-devrions.html
L'Abîme de l'illusion humaine (2010)
The Abyss of Human Illusion
Sortie : septembre 2015 (France). Recueil de nouvelles
livre de Gilbert Sorrentino
Annotation :
Des années auparavant, il avait eu un ami
Chaque jour, il allait s’asseoir à la table de la cuisine et regardait par la porte coulissante en verre le petit patio qu’il avait peu à peu fini par haïr, sans du tout savoir pourquoi. Il allait s’asseoir, buvait du café, fumait et attendait que le téléphone sonne avec quelqu’un, n’importe qui au bout du fil pour lui donner des nouvelles, bonnes, mauvaises ou insignifiantes, peu importait. Mais le téléphone sonnait rarement et, quand il sonnait, il apportait un message tellement vide, tellement anonyme, que ce n’était qu’une sorte de bruit tranquille.
Des années auparavant, il avait eu un ami, bien plus jeune que lui, qui s’était suicidé, « tout à trac », comme on dit. Cet ami lui avait dit un jour que lorsqu’il ouvrait le journal tous les matins il le faisait avec l’espoir absurde et pourtant irrésistible — peut-être même la croyance — qu’il allait tomber sur une histoire dans laquelle il apparaîtrait comme quelqu’un, comme n’importe qui, comme un nom dans le journal. Il voulait, disait-il, lire quelque nouvelle surprenante sur lui-même : avant de disparaître comme tous les autres zéros.
Il regarda le patio inondé de pluie par la fenêtre et se dit qu’il ne pouvait pas se rappeler le nom de son jeune ami, ni, d’ailleurs, son visage. Il se rendit compte alors qu’il s’était, peut-être, rappelé un autre jeune homme, tout à fait différent, un personnage dans une pièce ou un film. Un roman. Quelqu’un qui n’avait jamais été.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/03/des-annees-auparavant-il-avait-eu-un-ami.html
Voir aussi :
Il est impossible de marchander avec la vie
http://editionsultima.blogspot.com/2023/02/il-est-impossible-de-marchander-avec-la.html
Maintenant (1915)
Sortie : 18 novembre 2010 (France). Culture & société
livre de Arthur Cravan
Annotation :
Mille âmes
Moi qui pourrais me tuer de plaisir ; mourir d’amour pour toutes les femmes ; qui pleure toutes les villes, je suis ici, 'parce que la vie n’a pas de solution'. Je puis faire la fête à Montmartre et mille excentricités, puisque j’en ai besoin ; je puis être pensif, physique ; me muer tour à tour en marin, jardinier ou coiffeur ; mais, si je veux goûter aux voluptés du prêtre, je dois donner un lustre sur mes quarante années d’existence, et perdre d’incalculables jouissances, durant que je serai uniquement sage. Moi, qui me rêve même dans les catastrophes, je dis que l’homme n’est si infortuné que parce que mille âmes habitent un seul corps.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/03/mille-ames.html
Temps profond (2019)
Essais de littérature arrêtée 1977-1984
Sortie : 3 octobre 2019. Journal & carnet
livre de Denis Roche
Annotation :
« Foutez-moi la paix, il est là ! »
14 septembre 1983 (mercredi). – J’avais dit à Françoise : « Allons à Charleville voir la valise de Rimbaud. » Elle a ri, elle m’a dit qu’elle était d’accord et on y est allés. Il fait un temps affreux, du brouillard et, par moments, de la bruine, un ciel noir qui a l’air du fin fond de l’année. On traverse en biais la ville, le long des murs pour éviter l’eau qui tombe, en marchant vite parce qu’on a peur que le musée ferme à midi. À l’instant où je pénètre dans la salle consacrée à Rimbaud, je jette un rapide regard circulaire : je vois des tableaux sur les murs, des photos un peu partout, des vitrines avec des objets et des papiers, des livres aussi bien sûr, mais rien qui ressemble à une valise. Alors je redescends l’escalier en courant et je m’adresse aux deux gardiens qui sont à l’entrée et qui bavardent avec un jeune homme qui semble être aussi un employé du musée. Je leur dis : « Mais où est la valise de Rimbaud ? – La valise de Rimbaud ?...
https://editionsultima.blogspot.com/2023/03/foutez-moi-la-paix-il-est-la.html
Voir aussi :
http://editionsultima.blogspot.com/2023/02/ment-des-mots-qui-aimeraient-ci.html
Considérations inactuelles (1876)
Unzeitgemässe Betrachtungen
Sortie : 1907 (France). Philosophie
livre de Friedrich Nietzsche
Annotation :
J’oublie chaque fois ce que j’ai l’intention de
Contemple le troupeau qui passe devant toi en broutant. Il ne sait pas ce qu’était hier ni ce qu’est aujourd’hui : il court de-ci de-là, mange, se repose et se remet à courir, et ainsi du matin au soir, jour pour jour, quel que soit son plaisir ou son déplaisir. Attaché au piquet du moment il n’en témoigne ni mélancolie ni ennui. L’homme s’attriste de voir pareille chose, parce qu’il se rengorge devant la bête et qu’il est pourtant jaloux du bonheur de celle-ci. Car c’est là ce qu’il veut : n’éprouver, comme la bête, ni dégoût ni souffrance, et pourtant il le veut autrement, parce qu’il ne peut pas vouloir comme la bête. Il arriva peut-être un jour à l’homme de demander à la bête : « Pourquoi ne me parles-tu pas de ton bonheur et pourquoi ne fais-tu que me regarder ? » Et la bête voulut répondre et dire : « Cela vient de ce que j’oublie chaque fois ce que j’ai l’intention de répondre. » Or, tandis qu’elle préparait cette réponse, elle l’avait déjà oubliée et elle se tut, en sorte que l’homme s’en étonna.
https://editionsultima.blogspot.com/2023/03/joublie-chaque-fois-ce-que-jai.html
Zibaldone (1900)
Zibaldone di pensieri, 1817-1832
Sortie : 1900. Journal & carnet
livre de Giacomo Leopardi
Annotation :
Un char pesant et vide
En dernière analyse, la plupart des hommes n’aiment et ne désirent vivre que pour vivre. L’objet réel de la vie est la vie, et traîner constamment en tous sens avec peine et sur une même route un char pesant et vide. (10 août 1821.)
http://editionsultima.blogspot.com/2023/03/un-char-pesant-et-vide.html
Voir aussi :
http://editionsultima.blogspot.com/2023/02/la-nature-tres-souvent-lie-la-survie-et.html
Humain, trop humain (1878)
Un livre pour esprits libres
Menschliches, Allzumenschliches. Ein Buch für freie Geister
Sortie : 1878. Essai, Philosophie
livre de Friedrich Nietzsche
Annotation :
Biographie
La vie, fruit de la vie. – L’homme a beau s’étendre tant qu’il peut par sa connaissance, apparaître aussi objectivement qu’il veut, à la fin il n’en retire que sa propre biographie.
Toutes les biographies sont absurdes. Avec la mienne, on ferait rire un chat.
(Dylan Thomas. — Cité par Denis Roche, « Le Spectacle de l’écriture », dans Dylan Thomas, 'Œuvres'.)
http://editionsultima.blogspot.com/2023/03/biographie.html
Ce monde est mon partage et celui du démon
Sortie : avril 2008 (France). Poésie
livre de Dylan Thomas
Annotation :
[En lieu et place de 'Œuvres', tome 1, édition établie sous la direction de Monique Nathan et Denis Roche, Éditions du Seuil, 1970.]
Voir ci-dessus.
Corps du roi (2002)
Sortie : 2002 (France). Récit
livre de Pierre Michon
Annotation :
Puisque je tourne
Nos forces sont au-dessus de notre destination, et cette disproportion nous accable. En 1790 Benjamin Constant rencontre à La Haye un Piémontais, le chevalier de Revel, diplomate pour la Sardaigne. Ce chevalier est atteint d’une folie très spirituelle : « Il prétend que Dieu, c’est-à-dire l’auteur de nous et de nos alentours, est mort avant d’avoir fini son ouvrage ; qu’il avait les plus beaux et vastes projets du monde et les plus grands moyens; qu’il avait déjà mis en œuvre plusieurs des moyens, comme on élève des échafauds pour bâtir, et qu’au milieu de son travail il est mort ; que tout à présent se trouve fait dans un but qui n’existe plus, et que nous, en particulier, nous sentons destinés à quelque chose dont nous ne nous faisons aucune idée ; nous sommes comme des montres où il n’y aurait point de cadran, et dont les rouages, doués d’intelligence, tourneraient jusqu’à ce qu’ils se fussent usés, sans savoir pourquoi et se disant toujours : puisque je tourne, j’ai donc un but. »
http://editionsultima.blogspot.com/2023/02/puisque-je-tourne.html
Œuvres II (2000)
Sortie : 29 novembre 2000. Essai
livre de Walter Benjamin
Annotation :
Ce que nous appelions l'art ne commence qu'à deux mètres du corps
Le rêve n'ouvre plus sur des lointains d'azur. Il est devenu gris. La couche de poussière grise sur les choses en est la meilleure part. Les rêves sont à présent des chemins de traverse menant au banal. La technique confisque définitivement l'image extérieure des choses, comme des billets de banque qui vont être retirés de la circulation. Dans le rêve, la main s'en saisit une dernière fois, elle prend congé des objets en suivant leurs contours familiers. Elle les saisit par l'endroit le plus usé. Ce n'est pas toujours la manière la plus convenable : les doigts des enfants n'entourent pas le verre, ils plongent dedans. Par quel côté la chose s'offre-t-elle aux rêves ? Quel est cet endroit le plus usé ? C'est le côté qui a pris la patine de l'habitude et qui est garni de sentences commodes. Le côté par lequel la chose s'offre au rêve, c'est le kitsch...
http://editionsultima.blogspot.com/2021/08/ce-que-nous-appelions-lart-ne-commence.html
Voir aussi (même entrée que 'Traces' de Bloch) :
On raconte que dans un village hassidique, un soir, à l’issue du sabbat, les Juifs étaient assis dans une auberge misérable. C’étaient tous des habitants du lieu, à l’exception d’un seul, que personne ne connaissait, un miséreux vêtu de guenilles, qui se tenait en retrait, blotti dans un coin obscur...
http://editionsultima.blogspot.com/2007/01/une-chemise.html
Rue à sens unique
Sortie : 1 octobre 2015 (France).
livre de Walter Benjamin
Annotation :
les instincts de masse, en s’égarant, sont devenus étrangers à la vie
Étrange paradoxe : les gens n’ont à l’esprit, quand ils agissent, que l’intérêt privé le plus étroit, mais ils sont en même temps plus déterminés que jamais par leurs instincts de masse dans leurs comportements. Et, plus que jamais, les instincts de masse, en s’égarant, sont devenus étrangers à la vie. Là où la pulsion obscure de l’animal – comme le racontent d’innombrables anecdotes – trouve une issue au danger menaçant, qui semble encore invisible, cette société, où chacun n’a en vue que sa propre et médiocre prospérité, tombe alors en décadence, avec une apathie animale mais sans le vague savoir des animaux, comme une masse aveugle à tout danger, même le plus proche, et la diversité des buts individuels perd toute importance devant l’identité des forces déterminantes. On a observé encore et toujours que leur penchant pour la vie habituelle, depuis longtemps perdue déjà, est tellement rigide qu’il fait échec, même lors d’un extrême péril, à l’usage proprement humain de l’intellect, à savoir la prévoyance. De sorte qu’en elle, l’image de la bêtise se complète : incertitude et même perversion des instincts vitaux, impuissance et même décadence de l’intellect.
http://editionsultima.blogspot.com/2021/08/les-instincts-de-masse-en-segarant-sont.html
Voir aussi :
http://editionsultima.blogspot.com/2021/08/celui-qui-ne-se-soustrait-pas-la.html
Par les routes (2019)
Sortie : 22 août 2019. Récit
livre de Sylvain Prudhomme
Annotation :
Nous pouvons encore nous jurer que la mue n’est pas achevée
J’aime et redoute à la fois l’idée qu’il existe une ligne d’ombre. Une frontière invisible qu’on passe, vers le milieu de la vie, au-delà de laquelle on ne devient plus : simplement on est. Fini les promesses. Fini les spéculations sur ce qu’on osera ou n’osera pas demain. Le terrain qu’on avait en soi la ressource d’explorer, l’envergure de monde qu’on était capable d’embrasser, on les a reconnus désormais. La moitié de notre terme est passée. La moitié de notre existence est là, en arrière, déroulée, racontant qui nous sommes, qui nous avons été jusqu’à présent, ce que nous avons été capables de risquer ou non, ce qui nous a peinés, ce qui nous a réjouis. Nous pouvons encore nous jurer que la mue n’est pas achevée, que demain nous serons un autre, que celui ou celle que nous sommes vraiment reste à venir – c’est de plus en plus difficile à croire, et même si cela advenait, l’espérance de vie de ce nouvel être va s’amenuisant chaque jour, cependant que croît l’âge de l’ancien, celui que nous aurons de toute façon été pendant des années, quoi qu’il arrive maintenant.
http://editionsultima.blogspot.com/2019/10/nous-pouvons-encore-nous-jurer-que-la.html
Les Métamorphoses (2009)
(traduction Georges Lafaye)
Metamorphōseōn
Sortie : 2009 (France). Poésie
livre de Ovide
Annotation :
[En lieu et place de l'édition Danièle Robert chez Actes-Sud]
Il est venu, certes, mais sans les paroles d’usage,
Ni un visage souriant, ni sous d’heureux auspices.
Adfuit ille quidem, sed nec sollemnia verba
Nec laetos voltus nec felix attulit omen.
Enquêtes (1952)
Otras inquisiciones
Sortie : 1957 (France). Essai
livre de Jorge Luis Borges
Annotation :
Nous pouvons être des personnages fictifs
Les inventions de la philosophie ne sont pas moins fantastiques que celle de l’art : Josiah Royce, dans le premier volume de 'The World and the Individual' (1899), a formulé celle-ci : « Imaginons qu’une portion du sol de l’Angleterre ait été parfaitement nivelée, et qu’un cartographe y trace une carte d’Angleterre. L’ouvrage est parfait ; il n’est pas un détail du sol de l’Angleterre, si réduit soit-il, qui ne soit enregistré sur la carte ; tout s’y retrouve. Cette carte, dans ce cas, doit contenir une carte de la carte, qui doit contenir une carte de la carte de la carte, et ainsi jusqu’à l’infini. »
Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte et les mille et une nuits dans le livre des 'Mille et une nuits' ? Que Don Quichotte soit lecteur du 'Quichotte' et Hamlet spectateur d’'Hamlet' ? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages d’une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou leurs spectateurs, pouvons être des personnages fictifs. En 1833, Carlyle a noté que l’histoire universelle est un livre sacré, infini, que tous les hommes écrivent et lisent et tâchent de comprendre, et où, aussi, on les écrit.
http://editionsultima.blogspot.com/2019/09/nous-pouvons-etre-des-personnages.html
Le Méridien de Greenwich (1979)
Sortie : 1979 (France). Roman
livre de Jean Echenoz
Annotation :
La ruse du secret, c’est de vous faire croire qu’il n’est qu’un masque, alors qu’il est un moteur
– Il y a deux raisons qui me donnent le droit de ne rien vous dire, dit Carrier. D’abord, il faut préserver le secret, pas tellement d’ailleurs pour ne pas le dévoiler, mais pour qu’il continue à produire. Le secret, théorisa-t-il, n’est pas le dernier voile qui dissimule un certain objet au bout d’un certain parcours, il est ce qui anime la totalité de ce parcours. La ruse du secret, c’est de vous faire croire qu’il n’est qu’un masque, alors qu’il est un moteur. Et c’est ce moteur qu’il faut entretenir parce qu’il vous fait marcher. Si je vous révélais le moindre fragment de secret, vous n’en sauriez pas beaucoup plus et cela risquerait de casser quelque chose dans le moteur, personne n’y gagnerait.
– D’accord, dit Paul, assez sur ce sujet.
http://editionsultima.blogspot.com/2018/03/la-ruse-du-secret-cest-de-vous-faire.html
Echenoz est un auteur que je n'ai jamais été tenté de lire, ou si peu. Je me réjouis - ai-je raison ? - de me sentir confirmé dans mon sentiment.
Extinction (1986)
Un effondrement
Auslöschung - Ein Zerfall
Sortie : 1986 (Autriche). Roman
livre de Thomas Bernhard
Annotation :
Ils ne sont devenus ni meilleurs ni pires, ils sont seulement devenus vieux
Nous vivons toujours dans l’erreur que, de même que nous avons évolué, peu importe dans quel sens, les autres évoluent aussi, mais c’est là une erreur, la plupart se sont arrêtés et n’ont absolument pas évolué, ni dans un sens ni dans l’autre, ils ne sont devenus ni meilleurs ni pires, ils sont seulement devenus vieux et, par là, inintéressants au plus haut point...
http://editionsultima.blogspot.com/2018/02/ils-ne-sont-devenus-ni-meilleurs-ni.html
Voir aussi :
L’art d’exagérer est, à mon sens, un art de surmonter l’existence
Souvent, ai-je dit plus tard à Gambetti, nous nous laissons entraîner à exagérer tellement que nous finissons par tenir cette exagération pour le seul fait logique et ne voyons plus du tout le fait réel, rien que l’exagération poussée à l’extrême. Depuis toujours mon fanatisme de l’exagération m’a soulagé, ai-je dit à Gambetti. Parfois c’est la seule possibilité, à savoir quand j’ai transformé ce fanatisme de l’exagération en art de l’exagération, de me sortir de mon état d’esprit misérable, de la lassitude de mon esprit, ai-je dit à Gambetti. J’ai cultivé à tel point mon art de l’exagération que je puis me dire sans hésiter le plus grand artiste de l’exagération que je connaisse. Je n’en connais pas d’autre. Personne n’a jamais poussé si loin son art de l’exagération, ai-je dit à Gambetti...
http://editionsultima.blogspot.com/2018/01/lart-dexagerer-est-mon-sens-un-art-de.html
Chroniques de la montagne
Sortie : septembre 2000 (France). Essai
livre de Alexandre Vialatte
Annotation :
Mais j’exagère
Mais j’exagère. Et premièrement parce que l’homme n’est pas ce que j’ai dit : il est sautillant, primesautier, curieux comme un insecte rare, inattendu dans ses moindres réflexes et coiffé d’un petit chapeau mou. (Ce que je reproche à la plupart des romanciers c’est de nous faire oublier la chose.)
Il possède une âme immortelle. Il l’habille d’un pardessus gris. Il la piétine et il la jette à la poubelle. Il fait mille choses qu’un veau ne se permettrait jamais. (Peut-être le rat ; ou la vipère ; mais tout cela nous mènerait trop loin.)
http://editionsultima.blogspot.com/2018/01/mais-jexagere.html
Vialatte ne compte pas parmi les auteurs que j'ai lu. Je
L'Usage du monde (1963)
Sortie : 1963 (France). Récit
livre de Nicolas Bouvier
Annotation :
Pourquoi ajouter des mots qui ont traîné partout à ces choses fraîches qui s’en passaient si bien ? Et comme c’est boutiquier, ce désir de tirer parti de tout, de ne rien laisser perdre… et malgré qu’on le sache, cette peine qu’on prend, ce travail de persuasion, cette lutte contre le refroidissement considérable et si insistant de la vie.
Ce lieu désert qu’est devenue ma tête
... ce lieu désert qu’est devenue ma tête, la silencieuse corrosion de la mémoire, cette distraction perpétuelle qui n’est attention à rien d’autre (pas même à la plus ténue des voix intérieures), cette solitude imposée qui est un mensonge, ces compagnies qui en sont d’autres, ce travail qui n’est plus du travail et ces souvenirs qui ont séché sur pied comme si une malveillance toute puissante avait tranché leurs racines, me coupant, moi, de tant de choses aimables.
http://editionsultima.blogspot.com/2018/01/ce-lieu-desert-quest-devenue-ma-tete.html
Je n'ai pas lu Bouvier. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'y remédier.
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