Words (2022)
« Bored beyond words. Shall be in the library. » — Ada or Ardor, Nabokov
2021 : https://www.senscritique.com/liste/Words_2021/2930649
2020 : https://www.senscritique.com/liste/Words_2020/2602249
2019 : https://www.senscritique.com/liste/Words_2019/2336816
2018 ...
43 livres
créée il y a presque 3 ans · modifiée il y a presque 2 ansUn hamster à l'école (2021)
Sortie : 14 janvier 2021. Aphorismes & pensées, Culture & société
livre de Nathalie Quintane
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Quintane pétrit une langue vivante, parfois familière, qui n'est pas celle de l'institution. Même si le choix du vers libre et l'emploi de certaines tournures peuvent paraître affectés, le travail sur la métrique, un usage particulier du langage et le sens de l'observation poétique donnent à l'ouvrage une valeur proprement littéraire, qui le rend supérieur à un simple essai sur l'éducation. Le format type chronique fonctionne bien, changer de sujet tous les trois ou quatre pages permet de mieux communiquer la fièvre de l'autrice, sa colère larvée qui, à défaut d'être toujours justifiée, est souvent légitime. Les plus beaux passages sont ceux où la prof se place du côté de ses élèves, quand elle envisage le deuil de l'un d'entre eux, qu'elle réfléchit au phénomène du transfert, ou au fait que des lycéens n'aient pas le même rapport au temps, à l'histoire que nous. Le regard sur le système n'est pas rose mais on sent en même temps un amour de la profession qui survit au passage des années, et qui rend la démarche de Quintane assez sincère.
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« (les profs en général sont moches) »
Les Trois Mousquetaires (1844)
Sortie : 1844 (France). Roman, Aventures, Histoire
livre de Alexandre Dumas
Paul_ a mis 9/10.
Annotation :
Il faut oublier tout ce que l'imaginaire collectif a charrié sur ces Trois Mousquetaires pour plonger dans ce magnifique roman. Dumas, longtemps catégorisé dans une littérature populaire méprisée en France, sans doute aussi dans l'ombre de son ami Hugo, a pourtant des qualités littéraires à revendre dans ce genre qu'il semble inventer, une sorte de blockbuster intelligent ou de roman de gare de haute tenue (même parfois un roman policier historique avant l'heure ?). Étiquettes mises à part, l'œuvre brille par la vitesse, l'urgence presque, qu'elle impose à un récit porté par une langue claire, légère et pleine d'humour. Surtout, elle ne sacrifie jamais ses personnages à l'exigence constante de divertissement, et quels personnages ! Depuis leur genèse légendaire qui voit leur union naître dans une escarmouche, ces figures hors normes nous touchent parce qu'en vivant sous nous yeux, elles nous aident aussi un peu à vivre. D'Artagnan fait ainsi des choix que je n'aurais pas fait, et c'est donc une histoire d'amitié – il en manque tant –, la vraie, celle qui est faite de plaisirs simples, celle qui suppose aussi parfois de cacher des choses, d'avoir certains accommodements avec la vérité dans le seul but de ne pas blesser l'ami. En se concentrant sur le personnage de Milady, une sirène de l'Odyssée qui serait revenue des Enfers, la fin accentue le ton mélodramatique, mais le plaisir de lecture reste constant.
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« Poussière, je rentre dans la poussière. La vie est pleine d'humiliations et de douleurs, continua-t-il en s'assombrissant ; tous les fils qui la rattachent au bonheur se rompent tour à tour dans la main de l'homme, surtout les fils d'or. Ô mon cher d'Artagnan ! reprit Aramis en donnant à sa voix une légère teinte d'amertume, croyez-moi, cachez bien vos plaies quand vous en aurez. Le silence est la dernière joie des malheureux ; gardez-vous de mettre qui que ce soit sur la trace de vos douleurs, les curieux pompent nos larmes comme les mouches font du sang d'un daim blessé. »
« Et Planchet se mit à pleurer ; nous n'oserions dire si ce fut de terreur, à cause des menaces qui lui étaient faites, ou d'attendrissement de voir quatre amis si étroitement unis. »
« Le jeune mousquetaire était en excellente disposition pour trépasser héroïquement. »
Si par une nuit d'hiver un voyageur (1979)
Se una notte d'inverno un viaggiatore
Sortie : 1981 (France). Roman
livre de Italo Calvino
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Quand on a lu Borges, on a un peu l'impression que Calvino fait joujou avec des châteaux de sable. Il est question d'un livre qui contiendrait tous les livres (coucou Babel), de personnages qui se dédoublent dans le désert, plus largement du lecteur idéal, de la mort de l'auteur... J'ai d'abord eu un mal fou à me faire au laborieux dispositif, trouvant les premiers incipits ternes et dénués de couleur distinctive, et me perdant entre les personnages dans ces transitions méta assez artificielles. La mayonnaise a fini par prendre, et j'ai été séduit par quelques notations sur la lecture, et par l'idée derrière certains incipits (le prof qui ne supporte pas la sonnerie d'un téléphone, le milliardaire qui collectionne des kaléidoscopes). Mais reste cette sensation frustrante que Calvino roule trop des mécaniques, et qu'il aurait pu faire un plus beau roman encore sans se regarder écrire autant. Il est brillant mais froid, quand Borges nous emportait dans les vertiges de son intelligence. Aujourd'hui Si par une nuit d'hiver un voyageur ressemble surtout à un condensé de théories universitaires sur la lecture.
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« Il y a des années que Cavedagna vit auprès des livres pendant qu'ils se font, pièce à pièce, qu'il voit des livres naître et mourir tous les jours, et pourtant, les vrais livres, pour lui, c'est autre chose : ce sont ceux du temps où, pour lui, les livres étaient encore les messagers d'autres mondes. Même chose pour les auteurs : il a affaire à eux tous les jours, il connaît leurs obsessions, leur irrésolution, leur susceptibilité, leur égocentrisme, et pourtant les auteurs véritables restent ceux qui n'étaient pour lui qu'un nom sur une couverture, un mot qui ne se laissait pas séparer du titre, des auteurs qui partageaient la réalité de leurs personnages ou des lieux nommés dans les livres, qui existaient et en même temps n'existaient pas, comme les personnages et les lieux. L'auteur était sur le point invisible d'où partaient les livres, un vide parcouru de fantômes, un tunnel souterrain qui mettait d'autres mondes en communication avec le poulailler de son enfance... »
« Et je dus encore une fois reconnaître que l'intelligence de cette fille était bien supérieure à ce qu'on pouvait attendre de sa condition sociale. »
La Défense Loujine (1930)
Zashchita Luzhina
Sortie : 1964 (France). Roman
livre de Vladimir Nabokov
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Alors que le roman commence avec de longues phrases évoquant des odeurs de bois et d'enfance comme dans un pastiche de Proust, c'est d'abord un sentiment étrange que de retrouver un Nabokov plutôt classique et linéaire dans la narration. C'est un peu comme découvrir les premiers Picasso. Or petit à petit le cubisme arrive, il se fait un flottement au niveau du point de vue de la troisième personne, que le personnage va finir par contaminer complètement. Et c'est drôle comme ce sacré Loujine réunit toutes les caractéristiques des personnages de l'auteur, il est à la fois médiocre comme un Pnine et génial comme un Humbert ou un Van, et – c'est l'invariant nabokovien – toujours d'un autisme un peu pathétique. Quant à son histoire, elle ressemble finalement assez à celle de The Queen's Gambit si la série avait construit un vrai personnage, avec une psychologie solide. Ici, cette psychologie on en vient presque à la regretter : Nabokov, sans doute encore trop plein de ses lectures dix-neuvièmistes, ne s'en est pas encore délesté pour lâcher tout à fait les chevaux de son style. L'idée à l'origine du roman, qui veut que la vie de Loujine soit une partie d'échecs dont il subirait les coups – d'où le titre – n'est peut-être pas la meilleure qu'il ait eue. Il faut plutôt se concentrer sur le sens du détail de l'auteur qui est déjà impressionnant, il semble que Nabokov voyait vraiment les scènes avant de les écrire, et la précision de ses images est d'une rigueur exceptionnelle, comme le laissaient deviner ses cours de littérature. Et pour finir, sans surprise, les réflexions sur le jeu sont d'une sensibilité absolument brillante, et à travers la métaphore filée avec la musique et la peinture, on comprend que les échecs sont érigés au rang de véritable art.
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« C'était quand il jouait à l'aveugle qu'il ressentait ces forces diverses dans leur pureté originelle. Alors il ne voyait plus ni la crinière roide des chevaux ni les petites têtes luisantes des pions, mais il sentait que telle ou telle case imaginée était occupée par une force qui s'y concentrait, de sorte que le mouvement de la pièce se présentait à lui comme une décharge, un coup de foudre ; tout le champ de l'échiquier frémissait d'une tension dont il était maître, accumulant ou libérant à sa guise la force électrique. »
Rubayat (1131)
(traduction Armand Robin)
Sortie : 15 novembre 1994 (France). Poésie
livre de Omar Khayam
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Bacchanales blasphématoires et pari pascalien inversé : le poète préfère le vin au comptant que le paradis à crédit. Omar Khayam, si loin et si pourtant si proche de nous, ressemble à un sage badass – il m'a fait penser au Villon de la fin du Testament, un verre de vin à la main. Sa poésie me semble à la croisée des traditions que l'on connaît, entre l'Occident pour la peinture des vanités et l'Extrême-Orient pour la concision de ces quatrains qui peuvent évoquer le haïku. Les carpe diem – toujours un peu angoissants parce qu'ils te donnent l'impression que tu profites pas assez de ta vie – se répètent ici de manière obsessionnelle et littéralement grisante au point de gagner comme un sens, une profondeur nouvelle.
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« Je suis étonné des marchands de vin :
Que veulent-ils acheter de meilleur que ce qu'ils vendent ? »
« Je vais boire tant et tant de vin que l'odeur
En montera de ma tombe.
Et lorsqu'un buveur y passera,
Du seul parfum il tombera ivre mort ! »
« Car si les amoureux et les ivrognes vont en enfer,
Demain tu trouveras le paradis plat comme le creux de la main ! »
« Partout où on voit une rose, un parterre de tulipes,
Là a coulé jadis le sang d'un monarque.
Chaque violette qui pousse de la terre
Fut un grain de beauté sur la joue d'une aimée. »
« Je ne me soucierai plus du mouvement de la roue des cieux.
Je ne boirai plus que du vin limpide, du vin couleur de rose.
Le vin est le sang du monde et le monde mon ennemi sanguinaire,
Comment ne pas boire le sang de mon ennemi sanguinaire ? »
(Je vais m'arrêter là pour ne pas tout citer. Extraits de la traduction d'Actes Sud.)
La Cerisaie (1904)
(traduction André Markowicz et Françoise Morvan)
Višnëvyj sad
Sortie : septembre 2002 (France). Théâtre
livre de Anton Tchékhov
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Visiblement ma sensibilité connaît toujours une petite résistance à l'endroit du théâtre, et du théâtre étranger en particulier, mais je me soigne. Ma lecture ne s'est pas faite dans les meilleures conditions non plus, et je me suis perdu entre les noms au début comme dans toute œuvre slave qui se respecte. Après avoir vu la mise en scène de Clément Hervieu-Léger à la Comédie Française, mon ressenti ne change pas : c'est très beau, mais je n'arrive pas à dire en quoi. Peut-être parce qu'on n'en voit tellement pas les coutures que le travail de Tchekhov peut paraître presque trop lisse, trop simple, alors qu'en réalité la tension entre les registres, la gestion des nombreux personnages, le « sens » de l'histoire sont tout à fait remarquables ? Reste que cette petite troupe d'aristocrates qui, comme l'orchestre du Titanic, continue de jouer alors que son monde s'écroule, me touche en tant qu'idée seulement. Comme chez Dostoïevski, j'admire le dess(e)in, mais le détail ne m'emporte pas. Peut-être suis-je incompatible avec la fameuse âme russe.
Contes de la bécasse (1883)
Sortie : 1883 (France). Recueil de nouvelles
livre de Guy de Maupassant
Paul_ a mis 9/10.
Annotation :
Maupassant en passant. Certaines des nouvelles du recueil – qui n'a aucune cohérence éditoriale, hormis cette première nouvelle en forme de récit-cadre qui introduit un dispositif de contes pouvant rappeler Boccace – m'étaient déjà connues car étudiées avec mes élèves, comme la célèbre « Aux Champs ». L'impression que chaque histoire est aussi un art poétique qui semble glisser à l'oreille du lecteur en clignant de l'œil : « regarde comment on fait pour écrire une nouvelle parfaite ». En effet la précision du style est presque didactique, ça paraît simple d'écrire comme ça mais ça ne l'est pas du tout, c'est hallucinant de maîtrise. Les personnages sont croqués en deux lignes, on voit les paysages comme si c'était des tableaux. Maupassant rend le sérieux léger et le leste grave, et chez lui, comme dans la vie, tous les êtres, la paysanne comme son trousseur, le vil Français ou le veule Prussien, sont dignes d'intérêt, à condition seulement qu'on sache poser un œil dessus.
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« C'était l'automne, la saison rousse. Les feuilles voltigeaient sur les gazons comme des volées d'oiseaux. On sentait traîner dans l'air des odeurs de terre humide, de terre dévêtue, comme on sent une odeur de chair nue, quand tombe, après le bal, la robe d'une femme. »
« Il aimait se lever tard et se coucher tôt, manger lentement de bonnes choses et boire de la bière dans les brasseries. Il songeait en outre que tout ce qui est doux dans l'existence disparaît avec la vie, et il gardait au cœur une haine épouvantable, instinctive et raisonnée en même temps, pour les canons, les fusils, les revolvers et les sabres, mais surtout pour les baïonnettes, se sentant incapable de manœuvrer assez vivement cette arme rapide pour défendre son gros ventre. »
Bajazet (1672)
Sortie : 1672 (France). Théâtre
livre de Jean Racine
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Seul sujet oriental et quasiment contemporain du dramaturge – on connaît, grâce à Chris Marker qui l'a mise en préambule de Sans Soleil, sa phrase magnifique qui est donc tirée de la préface de cette pièce : « L'éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps. » Le traitement reste donc inchangé, à l'antique, et on retrouve, dans la foulée de sa pièce précédente Bérénice, une action minimaliste, centrée autour d'un triangle amoureux, avec ce schéma racinien par excellence, qui a tant irrigué l'imaginaire de l'art, surtout français, depuis (l'intrigue m'a rappelé, entre autres, celle du Mépris) : A aime B qui aime C. Malgré la fluidité de l'alexandrin toujours admirable (« music to my ears », comme disent les anglophones), la pièce en tant que telle est assez tiède et manque de souffle tragique. Le cadre du sérail aurait pu donner lieu à de belles effusions baroques, mais en même temps on ne peut pas demander à Racine de faire du Corneille.
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« Tout le camp interdit tremblait pour Bajazet.
On craignait qu'Amurat par un ordre sévère
N'envoyât demander la tête de son frère. »
« Laissez-moi sans regret me le représenter
Au trône où mon amour l'a forcé de monter.
Oui, je me reconnais, je suis toujours la même.
Je voulais qu'il m'aimât, chère Zaïre, il m'aime,
Et du moins cet espoir me console aujourd'hui,
Que je vais mourir digne, et contente de lui. »
Fables (1694)
Sortie : 1678 (France). Poésie
livre de Jean de La Fontaine
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Il m'aura donc fallu près d'un an de lecture pour appréhender ce monument comme il se doit. On a souvent une idée fausse des Fables, qui en fait un ouvrage assez court, sans doute à cause des nombreuses éditions allégées. Mais c'est un livre-monde, jamais fini, auquel l'auteur ajoutait sans cesse, dans ce phénomène d'enflement éditorial caractéristique de l'époque (on peut penser aux Caractères). Et La Fontaine est donc vraiment notre Homère à nous, ayant soutenu la gageure, certes aidé par les modèles fournis par Ésope et par Phèdre, de faire son épopée héroï-comique, où Achille est un rat et Ulysse une tortue. Outre la large palette de ses sujets et la finesse de sa réflexion, c'est surtout la richesse du vocabulaire, la nuance infime des registres qui m'ont impressionné. La couleur propre à chaque idiolecte donne voix au chapitre à chaque animal, et permet ce jeu infini de la relativité des points de vue. On peut peut-être regretter que les fables s'allongent au fil des livres, de plus en plus envahies par les dédicaces et les références mythologiques, ce qui a tendance à diluer la qualité de l'ensemble. Mais les douze livres ensemble forment un monde riche et complexe, inépuisable, à redécouvrir encore et encore.
Je garde la trace ici de quelques fables qui m'ont marqué et dont je voudrais me souvenir : « Les deux Pigeons », « Les Grenouilles qui demandent un Roi », « Le Loup et la Cigogne », « Le Lion abattu par l'Homme », « Le Renard et les Raisins », « Le Lion amoureux », « Le Cerf se voyant dans l'eau », « La Mort et le Mourant ».
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« Le Lion abattu par l'Homme »
« On exposait une peinture
Où l'artisan avait tracé
Un lion d'immense stature
Par un seul homme terrassé.
Les regardants en tiraient gloire.
Un Lion en passant rabattit leur caquet.
''Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire ;
Mais l'ouvrier vous a déçus :
Il avait liberté de feindre.
Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre." »
Les Orientales (1829)
Sortie : 1829 (France). Poésie
livre de Victor Hugo
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Le recueil se pique d'être baroque et chatoyant, je l'ai trouvé terne et sans aspérités. Ça coule tout seul et en même temps ça m'a paru fade, impersonnel. J'ai cette drôle d'impression avec Hugo que, tous genres confondus, il utilise toujours les mêmes mots. Pourtant ce n'est clairement pas le cas, un gros travail sur le lexique a été fourni, alors le problème doit venir des sentiments : l'ensemble semble manquer sacrément d'humour, de légèreté (ou alors elle est lourde). Bref, ces petits poèmes narratifs et thématiques me séduisent dans l'idée mais ne me touchent pas. J'attendrai avant de lire Les Feuilles d'automne.
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La préface et ses punchlines : « Les autres peuples disent : Homère, Dante, Shakespeare. Nous disons : Boileau. » ; « Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est orientaliste. »
« Frères, Missolonghi fumante nous réclame »
« Hélas ! que j'en ai vu mourir de jeunes filles ! » (vers qui sera indécemment détourné par Corbière)
Incendies (2003)
Sortie : 2003 (France). Théâtre
livre de Wajdi Mouawad
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
J'ai beaucoup aimé le début qui introduit un travail sur la langue, une cohabitation fluide des espaces et des temps, et même une clé de lecture mathématique. La saga familiale, cette quête des origines promet alors monts et merveilles. Mais la suite me paraît d'un intérêt littéraire moindre, Mouawad verse dans un lyrisme plus convenu et semble surtout rechercher une catharsis toute faite, à la limite du grossier, à l'image de son twist qui tombe comme un cheval (sic) sur la soupe. Le côté pot-pourri d'inspirations trop évidentes (Œdipe, Roméo et Juliette, etc.) m'a aussi un peu dérangé.
Œdipe Roi (-430)
(traduction Victor-Henri Debidour)
Oidípous týrannos
Théâtre
livre de Sophocle
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Comme dirait La Bruyère : « Tout est dit, et l'on vient trop tard ». Œdipe « Roi », parce que tout est déjà fait, il ne reste plus qu'à la vérité d'éclater, et Sophocle invente peut-être la première enquête littéraire. Aussi, la tragédie est d'autant plus cruelle que notre héros apparaît bien mesquin, humain, trop humain. Imaginez les premiers lecteurs qui ne connaissaient pas l'histoire...
Personne n'aime comme nous (2022)
Sortie : 26 janvier 2022. Correspondance
livre de Vladimir Nabokov
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Une petite sélection des Lettres à Véra parues en 2017. Où l'amour se dit simplement en partageant les choses qu'on a faites dans la journée : écriture, papillons, échecs, mais aussi maux de ventre, problèmes (de riches) de villégiatures, tous ces obstacles pratiques à la vocation. Il s'agit encore évidemment de s'écrire pour s'écrire, comme dans toutes les correspondances amoureuses. Mais contrairement à chez Flaubert ou Kafka, ici, jamais de tourment, le couple selon les Nabokov semble fait d'un bonheur serein. Du point de vue éditorial, la sélection paraît assez étrange, on s'attarde beaucoup sur les jeunes années pour passer de 1944 à 1966 d'un coup, aux oubliettes la période américaine (peut-être parce que les deux étaient enfin tout le temps ensemble ?). On repassera aussi pour un quelconque art poétique. Une lecture qui n'a pas grand intérêt si on n'est pas un thuriféraire du maître mais qui laisse entrevoir tout de même la quantité énorme du travail abattu. À l'époque, il n'y avait pas d'écrans...
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« Ma chérie, je te dirai seulement à ton retour comme tu m'as manqué – mais pour l'instant, tu ne dois pas le savoir – "je m'amuse bien sans toi" »
« Le métro [parisien] empeste comme entre les orteils et on y est aussi serré. Mais j'aime bien le claquement des tourniquets métalliques, les graffiti sur les murs (« merde »), les brunes aux cheveux teints, les hommes qui sentent le vin et les noms sonores et figés des stations. »
La Machine infernale (1934)
Sortie : 1934 (France). Théâtre
livre de Jean Cocteau
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Lecture du lycée dont je n'avais gardé aucun souvenir, si ce n'est cette couverture dessinée par l'auteur lui-même, que je m'étais amusé à recopier sur mon cahier. Cocteau revisite donc le mythe à la sauce tragi-comique, un peu à la Shakespeare, à l'image de ce premier acte qui parodie Hamlet. L'ironie tragique est volontairement grossière, avec ces blagues continues sur les yeux, la broche ou la relation maternelle, mais en même temps ça marche très bien. Chez Cocteau, Œdipe est bien un personnage du XXème siècle, héros déchu (pour preuve, le Sphinx lui souffle la réponse à l'énigme) et grisé d'absolu. L'innovation est constante jusqu'à ce dénouement où l'on retrouve la tragédie pure, sans trop s'éloigner de Sophocle. J'ai surtout beaucoup aimé cette langue, ni trop orale, ni trop littéraire, qui permet de moderniser l'histoire sans verser non plus dans l'anachronisme à tout bout de champ, et de garder intacte l'intemporalité du mythe.
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« Lumière de peste. » (didascalie)
« En quoi suis-je encore scandaleux, Tirésias ? »
Polyeucte (1641)
Sortie : 1641 (France). Théâtre
livre de Pierre Corneille
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Comme dans Cinna, le dilemme entre le public et le privé est résolu par une grâce finale inattendue. Corneille a toujours un don pour les visions (le songe de Pauline !) et le sujet est beau. Mais l'action ne m'emporte pas, il y a peut-être trop d'ellipses cette fois, comme si l'essentiel de l'intrigue se jouait sans nous. Et si je suis toujours obsédé par l'alexandrin, je crois que je commence à me lasser de la répétition du lexique classique.
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« Tout beau, Pauline : il entend vos paroles,
Et ce n'est pas un Dieu comme vos dieux frivoles. »
Les Échecs comme l'amour et la musique ont la faculté de rendre les gens heureux (2021)
Sortie : 7 octobre 2021. Essai
livre de René Alladaye
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Comme le laisse deviner son titre, le livre s'adresse bien sûr au grand public, mais même en considérant cela, je l'ai d'abord trouvé plutôt superficiel et un peu « boomer », notamment sur le jeu en ligne – on parle encore de « la Toile » – et surtout sur les femmes où l'auteur semble presque partager à demi-mot les positions de Kasparov et de Nigel Short comme quoi la gent féminine ne serait simplement pas faite pour les échecs. Ceci mis à part, l'ouvrage gagne en profondeur au fur et à mesure et devient assez complet en abordant tous les aspects du jeu. Les pages sur le rapport au temps – même si la philosophie de comptoir n'est jamais très loin – ou sur Alpha Zero, le nouvel ordinateur qui, en calculant différemment de ses prédécesseurs, ouvre l'horizon des relations entre l'homme et la machine, sont à cet égard très intéressantes. L'auteur enseigne la littérature américaine donc les références (me) sont en plus séduisantes : Barthes, Borges, Nabokov ou Perec (même si, là encore, on a un peu affaire à un collage type copie de culture générale à Sciences Po). J'ai appris quelques anecdotes aussi – comme celle de Kramnik qui résolvait des problèmes de tête en faisant ses longueurs dans la piscine pour se rassurer avant d'affronter Kasparov. Un sympathique ouvrage de vulgarisation donc !
L'Étranger (1942)
Sortie : 19 mai 1942. Roman
livre de Albert Camus
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Relu.
Toujours aussi efficace et, pourrait-on lui reprocher, aussi programmatique. Mais ce n'est pas une simple thèse philosophique déguisée en roman non plus, le texte est proprement « littéraire », et Camus dit d'ailleurs qu'on ne peut penser qu'à travers des images. En tout cas on comprend pourquoi son ouvrage est devenu un incontournable scolaire (réputation dont il semble avoir bénéficié autant que pâti), tant sa richesse technique est intéressante à étudier : discours indirect, focalisation interne, structure en deux parties où la deuxième partie, après les événements, va permettre de remettre en cause ce narrateur non-fiable... C'est très agréable à lire, et la lecture se passe sans accroc. Était-ce le but de l'auteur ? Quoi qu'il en soit cet ennui existentiel fait peut-être moins d'effet quand on sait que Bartleby et son « I would prefer not to » sont déjà passés par là (d'ailleurs Perec se serait-il inspiré de ces deux modèles pour son Homme qui dort ?). La satire de la justice est aussi un peu ridicule, même en voulant bien croire à la sévérité des tribunaux de l'époque en matière de mœurs. Mais j'ai aimé ce passage dans la prison où le héros se construit comme un palais de la mémoire et la toute fin, que je connais par cœur grâce à Hypno5e, et qui reste d'une poésie intacte.
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« Sans doute, j'aimais bien maman, mais cela ne voulait rien dire. Tous les êtres sains avaient plus ou moins souhaité la mort de ceux qu'ils aimaient. Ici, l'avocat m'a coupé et a paru très agité. Il m'a fait promettre de ne pas dire cela à l'audience, ni chez le magistrat instructeur. »
Monument national (2022)
Sortie : 6 janvier 2022. Roman
livre de Julia Deck
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Un petit roman sympathique qui n'est pas avare en subtilités stylistiques, mais qui ne m'a pas totalement emballé. Julia Deck a déjà pour elle de ne pas prendre le langage de tous les jours pour argent comptant, et grâce à cette séduisante idée du point de vue faussement naïf d'une narratrice-enfant, donne fréquemment à penser en remotivant des expressions toutes faites. Cependant je ne sais pas si c'est dû à ce choix d'une narration à rebours, en forme de chronique, qui contraint à un usage quasi-systématique du discours indirect, mais j'ai souvent eu l'impression de parcourir un roman en accéléré, comme un super-synopsis un peu décharné. C'est sans doute voulu par l'autrice, dont les personnages, qui forment l'entourage d'une star sur le déclin, sont forcément très fonctionnels dans leurs diverses nuances de vanité. Mais je ne suis pas sûr d'être parfaitement convaincu par ce ton Minuit non plus, celui d'Échenoz et de Toussaint très grossièrement, qui fait souvent dans l'ironie pour l'ironie, à l'image ici de la satire légère mais facile d'Instagram, des médias people ou encore du couple présidentiel. Comme si en somme le roman manquait un peu de suite dans les idées.
2666 (2004)
Sortie : 2008 (France). Roman
livre de Roberto Bolaño
Paul_ a mis 10/10.
Annotation :
2666 parachève le travail du XXème siècle pour représenter peut-être exemplairement le roman moderne : refus de la psychologie, rejet de l'ironie, et retour à une narration à la fois simple et rhizomique, avec une ambition encyclopédique, des digressions infinies et des changements de point de vue parfois frustrants, parce que, dans nos réflexes de vieux lecteur, on aimerait se fixer à un personnage. Ce à quoi il faut ajouter les marottes de Bolaño : l'inquiétante étrangeté, le réalisme magique (Amérique latine oblige) et l'héritage surréaliste, dont on conserve les comparaisons à la Lautréamont et la place accordée au rêve, qui jouit de la même valeur narrative que le réel. Mais tout ça pour dire quoi ? Encore plus que dans Les Détectives sauvages, le Chilien semble avoir comme mot d'ordre la phrase d'Artaud, pour qui « la vie est de brûler les questions ». Le lecteur participe à une enquête littéraire, traverse de longs tunnels d'horreur, parcourt les espaces et les temps, uniquement pour faire le constat, avec l'auteur, qu'il existe toujours une part de mystère impondérable. À l'image de ce titre qui agit comme un point de fuite, la littérature ainsi n'aurait pas pour but de révéler des vérités, mais justement de nous dire et de nous redire combien cette quête est impossible. Et parfois le plaisir étrange de brûler les questions est supérieur à celui de voir les réponses briller.
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« Ensuite, pendant que le taxi s'éloignait, ils virent l'ombre de Liz, l'ombre adorée, puis, comme si un souffle fétide faisait irruption dans une publicité de serviettes hygiéniques, l'ombre d'un homme qui les laissa paralysés. »
« La vérité, c'est que rien n'avait de sens. »
Retour à Reims (2009)
Sortie : septembre 2009. Essai
livre de Didier Eribon
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
C'est un ouvrage forcément intéressant et personnel mais je ne suis pas sûr qu'Eribon ait des choses aussi décisives à dire que ses illustres prédécesseurs et amis, Foucault et surtout Bourdieu. Il me paraît déjà difficile de mêler sociologie et autobiographie sans verser dans une analyse de soi qui ne soit pas un peu complaisante et fabriquée. Le propre de la sociologie n'est-il pas, comme toute science, de rechercher l'objectivité ? Cela donne parfois l'impression que le livre avance péniblement en enfonçant des portes ouvertes, parce que l'auteur ne s'attarde pas vraiment à démontrer les mécanismes sociaux, mais simplement à inscrire son parcours dans un certain contexte socio-politique de la France de la deuxième moitié du XXème siècle. En plus Eribon n'est pas un essayiste génial, certaines formules paraissent alambiquées pour dire finalement des choses simples, et c'est sans doute la raison pour laquelle j'ai préféré les pages les plus franchement autobiographiques, où l'ethos de l'intellectuel se fait moins présent. Ceci étant dit, j'ai conscience que c'est un livre « nécessaire », dont le propos doit résonner beaucoup chez les lecteurs qui ont eu la même expérience.
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« L'amitié n'échappe pas aux lois de la pesanteur historique : deux amis, ce sont deux histoires sociales incorporées qui tentent de coexister, et parfois, dans le cours d'une relation, si étroite soit-elle, ce sont deux classes qui, par un effet d'inertie des habitus, se heurtent l'une à l'autre. Les attitudes, les propos n'ont pas besoin d'être agressifs au sens fort du terme, ni intentionnellement blessants, pour l'être malgré tout. Par exemple, quand on évolue dans les milieux bourgeois ou simplement dans la moyenne bourgeoise, on est souvent confronté à la présomption d'être l'un des leurs. »
Comment Proust peut changer votre vie
Essai
livre de Alain de Botton
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Une petite trouvaille de brocante, qui derrière son titre faussement marketing, réserve une balade revigorante sur les lieux communs proustiens. En neuf courts chapitres, avec un humour typiquement britannique, le philosophe Alain de Botton revisite l'œuvre à travers ses « leçons de vie », en faisant beaucoup de liens avec la vie même de Proust, mais sans tomber ni dans la béatitude des manuels de développement personnel, ni dans le biographisme qui mythifierait la vie de l'auteur (le dernier chapitre s'appelle d'ailleurs « Comment laisser tomber un livre »). C'est au final un joli vade-mecum de théorie littéraire et d'histoire de l'art, donnant une perspective bienvenue aux principaux dogmes proustiens (la comparaison avec les impressionnistes par exemple, sur cette idée que la beauté est dans le regard et pas dans l'objet). Il y a aussi ce chapitre au très beau nom, « Comment réussir ses souffrances », qui explore une des vertus de La Recherche qui me passionne le plus, la thérapeutique, et qui nous en apprend un peu plus sur le nombre incalculable d'affections dont souffrait le petit Marcel, l'asthme bien sûr mais aussi les problèmes de digestion, la peau hypersensible, tous ces maux accumulés l'ayant presque condamné à écrire. C'est un livre qui fait du bien en relativisant sur la réputation de l'homme (généreux ou hypocrite, bon ou mauvais ami ?) et surtout sur le génie de l'écrivain qui, je l'ignorais, a longtemps hanté Virginia Woolf dans ses efforts de produire une œuvre propre (avant qu'elle parvienne finalement à s'en détacher) : « Ma seule grande aventure, c'est Proust. Après lui, que reste-t-il donc à écrire ? ».
La Semaine perpétuelle (2021)
Sortie : 19 août 2021. Roman
livre de Laura Vazquez
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Un premier roman enthousiasmant et qui mériterait une plus grande reconnaissance. Laura Vazquez est poétesse, elle travaille à la source même du langage et pourtant il n'y a que le réel qui l'intéresse. Le réel dans son incroyable étrangeté, puisque comme une philosophe, l'autrice va se nicher dans les impensés, dans toutes ces choses auxquelles on s'est habitué et qui sont pourtant bizarres, prêtant à ses personnages des micro-réflexions infinies, drôles et originales, sur le mode du « et si ? ». On y parle donc des requins du Groenland qui vivent jusqu'à 400 ans, d'un vieil homme qui rappe devant un auditoire de rats, des guerres que se livrent les acariens chaque jour sur notre visage. C'est comme si le monde était observé du point de vue d'un insecte ou d'un extraterrestre, ou comme si les personnages (des enfants autistes et géniaux comme dans un roman de David Foster Wallace) venaient de naître au monde et étaient immédiatement doués de pensée. On est moins dans une créativité syntaxique ou narrative que dans une écriture lexicale, au niveau de l'idée pure, qui rappelle d'ailleurs le travail pointilliste d'Edouard Levé, et qui rend en même temps – c'est un peu le revers de la médaille – le roman complètement aérien et désincarné. Il y a quelque chose d'une poésie Wikipédia dans tout ça, et j'aurais aimé que Vazquez pousse encore plus loin l'expérimentation formelle sur l'écriture Internet, par exemple sur les commentaires des vidéos YouTube. Et comme tout objet animiste qui se respecte, c'est enfin un livre hanté par la vieillesse, la maladie et la mort.
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« On croit que les assiettes existent depuis toujours, mais quelqu’un a inventé la première assiette. Quelqu’un a inventé les peignes, le parfum, la moustache. On croit que les choses existent seules, on finit par croire qu’elles existent depuis toujours, pourtant quelqu’un a inventé la parole, quelqu’un a inventé la respiration, le sommeil, les gestes. Au départ sans doute, on ne bougeait pas, mais quelqu’un a bougé un jour avant les autres. Une personne invente un geste. Un jour, quelqu’un s’est brossé les dents. Un jour, on pense : Je vais mettre un couteau dans un passant, et on invente le crime. »
« La personne qui inventera la drogue pour les robots deviendra la plus puissante du monde. »
« Peut-être que le monde a été créé par les humains et qu'ils ont oublié. »
La Main coupée (1946)
Sortie : 1946 (France). Autobiographie & mémoires
livre de Blaise Cendrars
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Cendrars est un génie absolu de la couleur qui écrit comme un Dieu, si celui-ci n'était « absent des champs de bataille »... Il y a du sublime en effet dans cette succession de portraits des « copains » de tranchées, où la tendresse du regard semble proportionnelle au pittoresque du sujet. Encore une fois, une telle précision des souvenirs trente ans après, ou même leur invention – parce qu'on sait maintenant que chez le bon vieux Blaise, du mémorialiste au mythomane il n'y a qu'un pas – paraît tout simplement impossible. Et finalement j'aime autant ce Cendrars plus terre-à-terre, plus modeste (mais toujours plein de fausse modestie !), moins grandiloquent que celui de Bourlinguer par exemple, où la tête finit par me tourner un peu à force de voyages spatio-temporels et d'envolées poétiques. Comme si la guerre ici obligeait à une certaine simplicité de la forme. Quoi qu'il en soit, le bougre doit mériter sa place dans le top 5 des écrivains français du XXème siècle.
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« Robert était le plus excité de nous tous. Il n'arrêtait pas de nous parler des seins de sa sœur. »
« Je contemplais avec consternation cette aube livide et sa défroque dans la boue. Rien n'était solide dans ce paysage dégoulinant, misérable, ravagé, loqueteux et moi-même j'étais là comme un mendiant au seuil du monde, trempé, glaireux et enduit de merde de la tête aux pieds, cyniquement heureux d'être là et de voir tout cela de mes yeux... »
Les Liaisons dangereuses (1782)
Sortie : 1782 (France). Roman
livre de Choderlos de Laclos
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Est-ce parce que les Liaisons ne sont finalement plus si sulfureuses aujourd'hui que je sors de ma lecture un poil déçu ? Je n'ai pas lu le livre dans les meilleures conditions et suis certainement passé à côté de nombreuses subtilités dans la langue, mais j'ai trouvé l'intrigue un peu lente, comme si on pouvait en retrancher certaines lettres redondantes. Cependant ces personnages qui font un art du vice sont bien entendu magnifiques, et ils annoncent toute cette production artistique moralement ambiguë à laquelle on est (trop ?) rompus aujourd'hui. D'ailleurs les petits parallèles à faire avec le contemporain sont là aussi foison : quand on consulte des amis sur l'interprétation d'un texto amoureux, on ne fait qu'emboîter le pas de la Présidente de Tourvel qui interroge Madame de Rosemonde sur une lettre de Valmont. À relire, peut-être après avoir vu les films qui en ont été tirés, pour essayer d'en extraire cette fois tout le suc, ou plutôt le venin.
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« Ces reconnaissantes duègnes s'établirent mes apologistes ; et leur zèle aveugle pour ce qu'elles appelaient leur ouvrage, fut porté au point qu'au moindre propos qu'on se permettait sur moi, tout le parti prude criait au scandale et à l'injure. »
Le Petit Livre des couleurs (2005)
Sortie : 2005 (France). Entretien
livre de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet
Paul_ a mis 8/10.
Annotation :
Exactement ce que j'en attendais : certes la forme de l'entretien est bien artificielle mais peu importe, ce bref traité constitue une introduction synthétique à un sujet passionnant, impensé, avec des anecdotes en barre pour, comme on dit, briller dans les dîners mondains. De leur création chimique à leur expansion culturelle, Pastoureau nous montre que les couleurs sont à chaque fois ambivalentes, et toujours des pures constructions de l'homme.
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« Le jeu d'échecs en est un bel exemple. À sa naissance, en Inde, vers le VIème siècle, il comportait des pièces rouges et des pièces noires. Les Persans et les musulmans, qui l'ont vite adopté, ont gardé cette opposition. Quand le jeu est arrivé chez nous, vers l'an mille, les Européens ont changé la donne et ont fait s'affronter des rouges contre des blancs. C'est seulement à la Renaissance que l'on est passé au couple actuel : noir contre blanc... Sombre contre clair, en somme. »
L'Île des esclaves (1725)
Sortie : 1725 (France). Théâtre
livre de Marivaux
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Difficile de ne pas rester un peu sur sa faim avec un tel pitch traité si rapidement. Mais la fin est amère et Arlequin est rigolo, et les enjeux de la pièce parlent facilement aux élèves du secondaire.
Guerre (2022)
Sortie : 5 mai 2022. Roman
livre de Louis-Ferdinand Céline
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Manuscrit retrouvé oblige, on a entre les mains un premier jet, mais cela n'enlève rien à la puissance du style, toujours aussi cru et éblouissant. L'histoire elle est un peu moins passionnante, on suit la convalescence de Ferdinand dans un hôpital militaire sous la forme d'une courte chronique quasi-autobiographique, loin des projets plus romanesques et ambitieux de l'auteur. Cela dit ça reste un fin plaisir de lettré, une coquetterie presque de découvrir un inédit de Céline en tête de gondole en 2022.
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« À tant d'années passées le souvenir des choses, bien précisément, c'est un effort. Ce que les gens ont dit c'est presque tourné des mensonges. Faut se méfier. C'est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie. Il prend des petites mélodies en route qu'on lui demandait pas. Il vous revient tout maquillé de pleurs et de repentirs en vadrouillant. C'est pas sérieux. Faut demander alors du vif secours à la bite, tout de suite, pour s'y retrouver. Seul moyen, du moyen d'homme. Bander un coup féroce mais ne pas céder à la branlette. Non. Toute la force remonte au cerveau, comme on dit. Un coup de puritain, mais vite. Il est baisé le passé, il se rend, un instant, avec toutes ses couleurs, ses noirs, ses clairs, les gestes mêmes précis des gens, du souvenir tout surpris. C'est un saligaud, toujours saoul d'oubli le passé, un vrai sournois qu'a vomi sur toutes vos vieilles affaires, rangées déjà, empilées c'est-à-dire, dégueulasses, tout au bout râleux des jours, dans votre cercueil à vous-même, mort hypocrite. »
Le Bourgeois gentilhomme (1670)
Sortie : 1670 (France). Théâtre
livre de Molière
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Peut-être la pièce la moins « écrite » de Molière, étant donné qu'elle était une comédie-ballet destinée à être jouée avant tout. Spectacle opératique plus que de la langue donc, avec cette satire un peu bêta de M. Jourdain, triste personnage accablé par tous et auquel on refuse même la dignité.
Sido (1930)
Sortie : 1930 (France). Récit
livre de Colette
Paul_ a mis 6/10.
Annotation :
Première rencontre avec Colette qui dresse dans ce petit livre de souvenirs des portraits de sa mère, « Sido », de son père et de ses deux frères. Le regard est tendre et la plume vive et touffue, usant d'un lexique botanique impressionnant, à la limite de l'ampoulé et de l'indigeste lorsqu'il s'agit d'évoquer la luxuriance fantastique des jardins de la jeunesse. Mais comme chez Proust ou Nabokov, il est difficile de ne pas être un peu nostalgique de ces enfances fin-de-siècle qu'on n'a pas connues.
Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1753)
Sortie : 1753 (France). Roman
livre de Abbé Prévost
Paul_ a mis 7/10.
Annotation :
Quelle plume, et quelle lisibilité pour un roman du XVIIIème ! Ah, perfide Manon, insaisissable personnage, qui a décidément quelque chose de vénéneux et qu'on n'oubliera pas de sitôt... Au rang des choses remarquables, l'évidence du récit à la première personne, la fluidité du discours indirect libre, et ces péripéties pathétiques qui se répètent comme par vagues... La couverture du Folio Classique ne s'y trompe pas, c'est vraiment un film noir, avec sa femme fatale, des magnats inquiétants et même des coups de pistolet impromptus ! (En revanche, j'ai rarement vu notes plus superfétatoires, entre les spoilers de rigueur, les précisions documentaires inutilement détaillées et les paraphrases en mode Captain Obvious...)
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« Je souffrais mortellement dans Manon. »