Très bon numéro qui, outre des articles annexes divers de bonne facture, s'intéresse particulièrement à travers les papiers de plusieurs historiens aux relations entre la Chine et l'Occident, notamment au XIXe siècle considéré comme celui des humiliations et qui est très présent aujourd'hui encore dans le discours politique chinois.
On commence donc par un rappel des relations entre chine et Europe qui ont commencées dès l'Antiquité, notamment avec l'empire romain, bien quelles aient été ténues. Elles seront ensuite un temps interrompues jusqu'à reprendre grâce à l'instauration de la "pax mongolia" qui permettait une sécurisation des voies commerciales dont beneficiera, outre les missionnaires notamment, le célèbre Marco Polo. Les portugais prendront le relais au moment des grandes découvertes puis progressivement dautres nations occidentales comme par exemple la hollande, la France et surtout l'Angleterre viendront peu à peu meler leurs affaires à celles de la dynastie mandchoue en place.
Passé cette introduction efficace nous entrons dans le vif du sujet à savoir ce fameux siècle des humiliations qui débute avec la première guerre de l'opium, déclenchée par les Britanniques pour des raisons commerciales en 1839 et se terminera par la fin du régime impérial suite à la révolution Xinhai déclenchée en 1911 et alimentée par le ressentiment envers les étrangers. L'abdication du dernier empereur en février 1912 verra la naissance de la république chinoise (remplacée par la république populaire en 1949). Entre temps la seconde guerre de l’Opium (1856-1860) aura vu la France s’allier aux Britanniques pour dicter les conditions occidentales à Pékin, cette campagne aboutissant au pillage du palais d’été par Français et Anglais et à l’incendie de celui-ci, cette décision terrible étant par contre le fait des Anglais contre l’avis des Français (Il est intéressant de noter que suite à cet épisode les Français seront critiqués au retour en métropole tandis que les Britanniques seront accueillis comme des héros en Angleterre). Le magasine explique que ce traumatisme est encore vivace pour les Chinois, l’épisode étant largement instrumentalisé par le parti communiste chinois. Un épisode moins instrumentalisé en raison des intérêts géopolitiques liant Chine et Russie est l’expansion colossale du territoire russe au dépend de la Chine au nord du fleuve Amour et ce sans tirer un coup de feu, cette perte de territoire est de loin la plus importante pour un empire chinois qui aura été constamment grignoté mais qui au final n’aura jamais été dépecé à l’inverse de l’Afrique par exemple. Les derniers épisodes marquants sont d’une part les terribles révoltes des Taiping (1851-1864) et des boxers (1898-1901) où le sentiment anti-étranger a à chaque fois été un élément fort même si en ce qui concerne la première d’autres facteurs ont été bien plus déterminants, et d’autre part la guerre franco-chinoise de 1884-1885 qui verra la France s’emparer du Vietnam et la guerre sino-japonaise de 1894-1895 qui entraîne la perte de la Corée.
Ces différentes humiliations aux conséquences économiques et politiques majeures ont mis en avant le retard de la Chine sur le plan militaire et politico-économique avec un territoire trop divisé pour faire face à de puissants ennemis.
Dès lors ce numéro décrit ensuite comment il s’agira de construire une nation moderne et pour ce le sentiment anti-étranger sera allègrement utilisé mais de différente manière entre nationalistes du KMT sous la république de chine et communistes du PCC sous la république populaire. Les premiers ne sont pas foncièrement anti-étranger, si les concessions étrangères sont dénoncées et le discours sur les humiliations passées très présent, ils ne peuvent se permettre d’être xénophobes car continuent de s’appuyer entre autres sur les entreprises et investissements étrangers pour développer l’économie. Mais par contre la politique du PCC sera elle pétrie de ressentiment anti-étranger, en allant jusqu’à se méfier du voisin soviétique, et ce jusqu’à la mort de Mao en 1976. Aujourd’hui encore le président Xi rappelle le siècle des humiliations pour unifier le pays et montrer que les chinois qui ont allié confucianisme et marxisme sont pacifiques alors que les occidentaux et les américains en particulier sont responsables de tous les maux.
Voilà de quoi traite ce magasine d’excellente qualité et qui personnellement m’a permis de découvrir sous un autre jour la construction de l’état chinois moderne et de son nationalisme. Il est d’ailleurs intéressant de voir que la saga Ip Man par exemple entre tout à fait dans cette logique.