Histoire du cinéma américain
La ruée de fripiers
Aux Etats-Unis, après quelques années d’incertitudes, de 1898 à 1904, le cinéma attira d’intrépides rastaquouères issus des marchés aux puces et des bidonvilles, qui sentaient l’aubaine et l’aventure. Ils improvisèrent des salles dans des foires et kermesses, clouant des planches à la hâte, investissant peu et gagnant beaucoup. L’ambiance était rocambolesque ! On projetait tout et n’importe quoi (essentiellement des copies françaises) devant un public populaire ébahi. Des marchands de fourrures tel que M. Loew, A. Zukor, des fripiers comme W. Fox, empochaient des bénéfices prometteurs. En deux ans, une fois les salles acquises, nos marchands d’habits se retrouvèrent maîtres du circuit de distribution sur tout le territoire.
Thomas Edison, qui détenait les premiers brevets cinématographiques, se rêvait grand Mephisto. Il engagea aussitôt une guerre impitoyable contre tous afin d’imposer son contrôle à tout ce qui imprimait de la pellicule. Aidé de son cabinet d’avocats, de ses indicateurs, de sa fortune et des huissiers, il fit régner la terreur sur l’ensemble du pays. Et les haines s’installèrent. Eastman, qui vendait la pellicule à tout le monde, tenta de pacifier sa clientèle. Les titans, attentifs à leurs intérêts, se coalisèrent en 1908 en un pool de producteurs qui trustera toute la production américaine chapeautée par la firme d’Edison. Loin d’être impressionnés, les exclus ou les indépendants (Columbia et consorts), aidés par Lumière qui fournira la pellicule, s’organiseront afin de poursuivre la lutte et prendre leur part aux dividendes qui devenaient fabuleux.
Les procédures, nombreuses, s’éternisaient et Edison voulut accélérer sa domination. Il engagea des détectives privés qu’il déploya dans une véritable chasse à courre. On saisissait le matériel, on brisait les caméras, et les revolvers protégeaient les hangars. C’était épique et sans merci. Les outlaws finirent par quitter les grandes métropoles pour se réfugier dans l’ouest. Ils créèrent un pool (la Paramount) autour d’un réseau de distribution et investirent un village qui deviendra Hollywood.
Dès lors, les rivalités entre les grandes compagnies se concentrèrent sur la qualité des films dont le format restait court. On inonda le territoire de films d’art, soignés, et de westerns dont les paysages désertiques de l’ouest étaient incomparables.
La clientèle devenait exigeante, les salles plus confortables, aérées, et le public payait.On s’aperçut que le cinéma pouvait remuer les passions et faire revivre les fantômes. L’élite qui, au départ, était plutôt réticente, entra alors dans la danse et les prix flambèrent devant le sérieux. La production s’affola et un petit malin, A. Zukor aidé de la banque Kuhn, Loeb & Co, se retrouva à la tête de la Paramount. Il imposa ses méthodes basées sur l’exclusivité, enchaîna les acteurs à sa firme par contrat et écrasa les concurrents avec ses "features", films à long métrage vendus par un matraquage publicitaire et livrés avec vedettes. Le coup porté fut tel que les grands ténors de l’industrie, dont le vieil Edison, furent terrassés, laissant les plus habiles dans l’obligation de créer un nouveau trust : la First National Circuit.
La grande guerre
Nous sommes au moment de la première guerre mondiale. Le cinéma européen était au point mort et seuls les films d’outre-Atlantique circulaient. Les producteurs américains en profitèrent pour développer des filiales en Europe afin de faciliter l’écoulement de leurs films. Les grandes maisons françaises, comme Pathé-Nathan ou Gaumont, n’étaient plus que des filiales américaines et le cinéma européen un des secteurs d’activité de Wall-Street.
En ces temps troublés par la fureur des hommes, les états voulurent s’appuyer sur le cinéma qui, ils en étaient certains, pouvait devenir une arme psychologique redoutable. Ainsi, le britannique Lloyd George fit parvenir les fonds nécessaires aux firmes américaines pour promouvoir la propagande de guerre auprès des foules. Le cinéma devint le sergent recruteur puis le maître éducateur dans les mains des démocraties civilisatrices face à la barbarie allemande. Toute une batterie de films idéologiques furent réalisés avec emphase sur l’héroïsme, les invasions, les atrocités allemandes…on évoquait Attila, montrait les Cosaques.
A la fin de la guerre, le public, épuisé par tant de simagrées grossières, recula. On dût changer son fusil d’épaule. On improvisa des films gais, des histoires d’amour, des drames bourgeois et le public reflua. Les goûts avaient changé et, en 1919, le cinéma américain était le maître du marché mondial. Les conflits terribles et désordonnés qui opposaient les grands trusts trouvèrent leur équilibre et l’industrie se stabilisa. La First National et la Paramount gardaient une position dominante, la Metro de Loew, appuyée par la General Motors et la Liberty Bank, ainsi que Samuel Goldwyn, aidé par Du Pont de Nemours et la Chase Bank, fusionnèrent en la Métro-Goldwyn-Mayer. Quant aux autres compagnies, elles furent absorbées en quelques années. La lutte à mort se retrouva alors circonscrite autour de la distribution, le cœur du système. Pour devenir maître du marché, il fallait posséder les salles et les banques furent ici d’un grand secours.
Le parlant
Dès le début, on essaya de rendre le cinéma "parlant". Mais ces tentatives furent laborieuses et c’est vers 1924 qu’émergèrent des solutions intéressantes sans toutefois trouver d’applications. Ce sont les compagnies d’électricité ou de T.S.F. qui s’employèrent à ces recherches : la Radio Corporation, qui appartenait au groupe Chase-Bank et Rockefeller, la Compagnie des téléphones Bell, filiale de la Western Electric du groupe Morgan et William Fox, le seul issu du milieu cinématographique.
Une solution fut trouvée par la Compagnie des téléphones qui n’intéressa qu’un petit marchand devenu producteur indépendant, Samuel Warner. Le succès fut mitigé, la lutte rude et les critiques cinglantes à propos de ce nouveau procédé qui, il faut bien le dire, faisait redondance à l’image. Les propriétaires de salles furent réticents à investir dans ces installations sonores mais durent progressivement se résigner devant le succès populaire des films "chantés". William Fox, décidé à ne pas se laisser distancer, se procura le brevet concurrent, moins bon, et aménagea ses salles. Il conquit un public qui eut vite fait de choisir entre une salle muette et une salle modernisée. On considéra désormais le cinéma comme un spectacle bruyant.
La Fox et la Warner réussirent à imposer le "parlant" et les bénéfices réalisés permirent à la Warner d’acheter les salles, les appareils, les stars, les metteurs en scène, les journaux et les concurrents. Le cinéma se métamorphosa brutalement, terrassant le "muet" et ses vedettes pour se retrouver entre les mains d’un nouveau consortium dont la proue fut la Warner et la Fox, puis la R.K.O. (qui s’imposa grâce à son réseau de distribution new yorkais), la Métro-Goldwin-Mayer, et enfin Universal, Columbia et United Artistes.
Mais ce n’étaient là que les prémisses d’une transformation bien plus radicale.