Que serais-je sans toi, épisode 9/12
[Avertissement : cette critique est le neuvième épisode d’une étude sur Que serai-je sans toi ? de Guillaume Musso. Pour plus de clarté sur le projet :
http://www.senscritique.com/liste/Musso_parce_qu_il_le_vaut_bien/500931
II. Le Style.
E. M. Musso est un adepte de la dichotomie hugolienne
La dichotomie, expression littéraire de l’antithèse, est le regroupement de deux valeurs opposées au sein d’une même phrase, d’un même développement. Victor Hugo en est un fervent amateur. Le principe est simple : il s’agit de procéder à une révélation fracassante, sur le modèle de la chute, bousculant toutes vos croyances établies. En gros on vous annonçait A, et ben en fait, c’est B.
Dingue.
M. Musso pratique à l’envi ce système de retournements qui génèrent chez le lecteur un profond désir de s’arrêter, de lever les yeux vers le plafond pour savourer la puissance de la leçon et prendre un ton solennel en se disant : ouaaahhh…
« Mais après tout, certains disent que les plus belles histoires d’amour sont celles qu’on n’a pas eu le temps de vivre. (1) Peut-être alors que les baisers qu’on ne reçoit pas sont aussi les plus intenses…(2)» (p. 15)
(1) On saluera l’honnêteté intellectuelle de M. Musso qui reconnaît ne pas avoir inventé cet adage. Il aurait eu du mal à la faire tant on le trouve souvent dans les cahiers de poésie des élèves de CE1.
(2) Rassurez-vous, l’échange de salive et la salade de museau auront bien lieu, exactement trois pages plus loin.
« Martin se posa pour la première fois la question : dans cette chasse à l’homme, était-il certain de ne pas jouer le rôle de la proie ? » (p. 53) On vous avait prévenu : ouaaahhh…
Le lecteur lambda aura sans doute oublié rapidement la fulgurance de cette formule, car l’auteur nous la ressert par la suite, mais du point de vue de son adversaire :
« Son affrontement avec Martin atteignait un tel paroxysme que lui-même ne savait plus qui était le chasseur et qui était la proie. » (p. 229)
La dichotomie perdant/vainqueur, proie/chasseur (et à peu près tout ce qui trouve un opposé, on peut essayer avec mer/montagne, Mac/PC, Beatles/Stones, Essence/Diesel…) permet des aphorismes qui fleurent bon la parole du sage bouddhiste en haut de sa montagne, entouré d’encens et de plantes grimpantes.
« A vrai dire, ce n’étaient pas les tableaux qui lui appartenaient, mais lui qui appartenait aux tableaux. » (p. 69)
« Car désormais, les règles du jeu ont changé : ce n’est plus lui qui traque Archibald, mais Archibald qui cherche à l’attirer à lui.
Mais pourquoi ? » (p. 117)
« Il croit que c’est de la colère qui bout en lui.
Il ne sait pas encore que c’est de l’amour. » (p. 137)
« Une nuit qui aurait dû être celle de tous les bonheurs
Et qui fut celle de tous les drames. » (p. 144) [A prononcer, cette fois, avec l’intonation des journalistes de France 3 région, parodiés avec bonheur par ceux de Groland.]
« Administrés à haute dose, les antalgiques faisant leur effet, l’aidant à contenir la maladie et lui offrant une rémission de courte durée, mais qui lui laisserait peut-être le temps de parler à Gabrielle pour la dernière fois.
Une dernière fois qui serait aussi la première. » (p. 155)
« Il avait à la fois envie de le provoquer et de le protéger, de l’aider et de le fuir. » (p. 190)
Avec un peu de souffle, on atteint rapidement une dimension cornélienne :
« Alors, son cœur s’emballa et son esprit se brouilla, tiraillé par des désirs contraires.
L’envie de se prouver qu’il était capable d’arrêter Archibald.
Mais aussi l’envie d’en apprendre toujours davantage sur lui.
L’envie d’aimer Gabrielle parce qu’elle était son évidence.
Mais aussi l’envie de lui rendre le mal qu’elle lui avait fait (1).
Car votre âme sœur peut être en même temps votre âme damnée. (2)» (p. 174)
(1) On se servira aussi de cette citation pour illustrer le recours permanent au retour à la ligne.
(2) On ne peut qu’être séduit par ce brusque changement de la situation d’énonciation : le « vous » et le présent gnomique nous happent violemment vers une leçon universelle à laquelle nous ne pouvons que souscrire.
« Certains disent (1) qu’on reconnaît le grand amour lorsqu’on s’aperçoit que le seul être au monde qui pourrait vous consoler est justement celui qui vous a fait mal. Martin était son grand amour.
Et elle l’avait perdu.(2) » (p. 226)
(1) Une nouvelle marque de l’honnêteté intellectuelle de M. Musso déjà évoquée.
(2) Pas pour longtemps, qu’on se rassure : au matin, ils seront ensemble et pourront faire des bébés.
Sans vouloir ternir les effets de manche de l’auteur, admettons que certaines dichotomies peuvent pousser la logique dans ses retranchements.
« - Les perdants sont toujours battus par eux-mêmes, pas par leur adversaires, mais ça, je crois que tu le sais déjà. […]
- Parfois, il est plus facile de perdre que de payer le prix que réclame la victoire, n’est-ce pas ? » (p. 55)
Parfois, aussi, il est plus facile de jouer avec les antithèses qu’avec la cohérence et la logique.
« Car lorsque vous n’avez pas confiance en vous, finir par dire oui à quelqu’un peut signifier lui dire encore plus non que non. Elle savait que Martin comprendrait. » (pp. 205-206)
Heureusement pour lui, mais qu’on nous permette d’en douter. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer à quel point il était long à la détente.
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