Adam et Thomas, les garçons des bois
C'est en cherchant dans le rayon enfants, que je suis ‘tombé’ sur un livre pour tous les âges avec de très belles aquarelles. C’est peut-être pour les belles illustrations qu’il était confiné au milieu de mil autres estampillés, coin lecture enfants. Quel plaisir de faire des découvertes qu’on pense inopinées et qui en fait arrivent au bon moment et qui sont au bon endroit, l’auteur a obtenu le prix du «meilleur livre jeunesse 2014 du magazine Lire» . C’est ainsi que j’ai trouvé Adam et Thomas de Aharon Appelfeld, auteur roumain, qui écrit en hébreu, traduit en français par Valérie Zanetti. Les illustrations, nombreuses, de grande qualité, qui accompagnent bien le récit, sont de Philippe Dumas.
Que nous raconte ce livre pour enfants? L’histoire de deux garçons qui vont vivre une odyssée, malgré eux, dans la forêt, où ils se cachent pour fuir les rafles nazis dans le ghetto. Enfants et vieux sont voués à l’enferment et, on le sait, à la mort.
Dès la première page, nous rentrons en silence dans ce livre, conduits comme la maman conduit dans la forêt son garçon, Adam, qui est en CM1. Elle lui a préparé un sac à dos bien fourni, sans oublier le nécessaire des premiers secours. C’est qu’elle n’a pas d’autre solution pour son fils. L’accompagner jusqu’à la forêt qu’il connaît bien, où la famille s’est souvent promené et où il saura trouver refuge et … survivre. Elle a à faire, urgent, trouver où cacher les grands-parents.
On connaît l’histoire d’Aharon Appelfeld. Il a perdu sa mère, tuée, et a été arrêté avec son père, séparé et amené dans un camp d’où il, enfant, réussi à s’enfuir. Il va vivre longtemps dans la forêt, tantôt en se cachant tantôt trouvant des boulots de fortune chez les paysans, faisant des multiples rencontres plus ou moins heureuses, avec des marginaux et des biens difficiles et dures conditions d’existence.
Ce n’est pas cette histoire qu’il nous invite à lire, mais c’est bien ce vécu qui va l'inspirer pour son premier livre pour enfant. Et le portrait qui est fait d’Adam, débrouillard, montre un apprenti aguerri de la forêt grâce aux visites régulières avec ses parents et ses grands-parents. Il saura survivre, aider un autre garçon Thomas, le meilleur de la classe également à recherche d’une cachette. La rencontre des deux garçons va rendre leur existence complémentaire et si Thomas n’aurait pas su faire face seul à la rudesse du lieu, Adam a trouvé en lui un compagnon sûr pour échanger et partager en duo le quotidien. C’est ensemble qu’ils ont pu construire leur cachette, leur nid dans les arbres, faire connaissance avec Mina, élève dans leur classe, également cachée qui leur apportera régulièrement à manger sans une parole, au risque de se faire prendre et qu’ils sauveront de la maltraitance des personnes qui l’accueillent.
La fuite dans la forêt se fait aux beaux jours, et une fois finis les sandwiches préparés par leurs mères c'est elle qui les nourrit avec des fraises sauvages, des baies, des mûres, des pommes, des cerises noires. Mais le retour "promis" des mères ne se réalisera pas d'aussitôt et ils seront obligés de s'y installer, sous le vent, la pluie, même sous la neige qui ne cesse de tomber et couvre le cime de l'arbre qui les abrite et les cache.
Quelqu'un disait que "décrire c'est essayer de comprendre" et c'est une des forces de ce livre dont la façon de "décrire" nous apprend beaucoup de la vie, du ressentir douloureux et courageux du faire face, être présent devant l'adversité et transformer la barbarie en acte de combat et d'espérance. Pour Adam la croyance et la foi le mobilisent et pour Thomas c'est plutôt la confiance en l'homme. Finalement c'est cette volonté commune qui permettra leur survie. Et Aharon Appelfeld expose un bel exemple de transmission. Ces deux collègues de classe qui n'étaient pas vraiment des camarades, vont devenir des amis et se raconteront avec le langage de leurs parents, avec la conviction et les valeurs qui les ont élevés. Leurs différences deviendront leurs complémentarités, dans la liberté de leur jeune âge et la contrainte de leurs conditions de vie.
Contrairement à l'histoire vraie de l'auteur, où sa maman n'est pas revenue, celles d'Adam et Thomas reviendront après que l'Armée Rouge soit rentrée dans la ville et ait chassé les troupes nazis.
Même dans la conclusion "heureuse" de son roman, Aharon Appelfeld nous donne à penser. Ces jeunes vies nanties d'une expérience de survie mais aussi d'amitié et de fraternité envers tous ceux qui donnent leur vie pour un cause, le professeur communiste de musique, ou pour une solidarité, la petite Mina, camarade de classe qu'ils avaient à peine remarqué et qui les a aidés, silencieusement, à lutter contre leur faim.
Je suis heureux de partager pour la fin 2014 une histoire d'Appelfeld, qui dans les pires conditions d'existence, rend l'espoir dans ce que les hommes peuvent construire aussi!
