Dès les premières pages, on sent qu'entre elle et lui, ça tire un peu.
Lui, c'est Tristan, elle, elle n'a pas de nom. Ils n'ont pas grand-chose à se dire, lui est au chômage, dort quand elle part bosser le matin ou boit son café ; quand elle rentre le soir, la vaisselle sale encombre encore l'évier tandis qu'il est penché sur un puzzle.
Le plus souvent, il y a Charlin. Non, ce n'est pas le nom de leur chat mais de son pote de collège, à lui, pas à elle. Ils boivent des bières, se balancent deux, trois vannes de potaches, parlent de tout, de rien. Ça lui fait du bien, à lui. Elle, elle préférerait aller se coucher.
Le problème, c'est que Charlin est souvent là, le soir.
« Tristan et moi, à l'époque, on traversait une période un peu délicate, peut-être même un peu difficile, une période où, vivant côte à côte plus qu'ensemble, on battait tendrement de l'aile, laissant facilement couler les jours, s'installer la situation sans que Tristan s'inquiète de tout ça, de cette légère torpeur dans le couple, de cette forme de lenteur dans son rythme, de cette distance (à laquelle, évidemment, la présence de Charlin ne pouvait rien arranger), sans doute d'autant plus sournoise qu'elle n'avait rien de dramatique et qu'avec un petit effort commun, un tant soit peu de volonté ou trois gouttes de philtre magique, on était capable de la réduire.»
Rien de grave donc, un peu de tension, mais bon, on y croit, ça va passer.
Et puis, il y a la goutte d'eau, vous savez, celle qui fait déborder le vase : cette goutte d'eau prendra la forme d'un tableau, enfin plus exactement d'une photo, une très très grande photo encadrée, accrochée sur tout un pan de mur, dans la salle à manger, unique pièce du studio : elle, en gros plan, les seins nus.
Charlin a aidé Tristan à transporter le cadre, à l'accrocher même. Tristan l'a payé pour ça.
Et maintenant, elle est là, enfin la photo, pas vraiment elle qui aurait plutôt envie de se cacher tellement la honte la gagne, à moins que ce ne soit de la colère, une forme de « trop c'est trop », de saturation. Les limites sont atteintes.
J'ai beaucoup aimé ce court roman de Marion Guillot qui met en scène la dérive de ce couple à vau-l'eau, plus tout à fait sur la même longueur d'onde, cette espèce d'écart qui se creuse progressivement jusqu'à l'incident provoquant la chute, l'incompréhension.
Ce que réalise la femme soudain, c'est que si elle ne réagit pas, tout est perdu : Tristan ne semble déjà plus vraiment être sensible à sa présence ni être à l'écoute de ses attentes. A-t-il besoin de la voir (l'avoir) en photo pour penser à elle ? Est-elle devenue si vide, si transparente qu'il faille la remplacer par une image ? A-t-on besoin d'une image pour ne pas l'oublier ? Et ce Charlin qui encombre constamment leur appartement, partagera-t-il leur intimité en contemplant la photo géante, cette photo d'elle mise à nu ?
« … alors déjà j'avais senti que tout ça ne pouvait pas durer : que tôt ou tard, ce serait à moi de prendre la situation en main.»
Peut- être pour se prouver qu'elle existe encore un peu...
C'est moi, par son titre léger, trompe un peu son lecteur : oui, certaines situations sont franchement cocasses, notamment, tous les passages autour de ce portrait géant sont vraiment très drôles, mais au fond, le propos n'a rien de léger, le tragique est là, un pied dans la porte, et ne demande qu'à entrer.
Une écriture blanche qui dit de la façon la plus neutre possible où peut mener le sentiment d'effacement…
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