Depuis Montesquieu et Voltaire la tradition du conte philosophique oriental avait disparu de nos lettres. Grâce à la plume de Marie Barthelet qui signe ici un premier roman aussi court que savoureux, ce tort est réparé. Il met aux prises deux frères, les fils du souverain d’un État oriental dont on comprend vite qu’il est régi d’une main de fer depuis des générations par cette famille régnante.
Après avoir donné naissance à un héritier, le souverain – comprenant que son épouse ne pourrait plus enfanter – a décidé d’adopter un second fils afin qu’il ne grandisse pas seul. Choix judicieux puisque les deux frères vont tout partager jusqu’au jour où «l’adopté» s’enfuit, provoquant le désarroi de la famille et de son frère : «En partant tu m’amputais de toi. Il y avait la vie d’avant et d’après ce départ. La vie avec et sans toi. Un âge d’or, une ère de plomb.»
On imagine la joie au moment de l’annonce du retour, après dix ans d’exil, de ce fils prodigue. Sauf que, à l’image des combats de serpents, les retrouvailles vont vite se transformer en confrontation. «J’ai songé : le «nous» d’hier, c’était toi et moi ; aujourd’hui, c’est toi et eux seuls. Eux. La triste minorité de mon pays.»
L’oiseau de mauvais augure qui promet le soulèvement du peuple opprimé – de cette triste minorité – déstabilise le pouvoir. Bien vite, ses menaces vont se traduire dans les faits. Une «vague pourpre» empoisonne le fleuve et le réseau d’eau causant de nombreux décès dans la population, notamment parmi les plus démunis. La lèpre fait également des ravages. Un peu comme les sept plaies d’Egypte.
Les vieilles recettes ne semblent plus fonctionner. Les promesses, les visites aux malades pour les assurer du soutien du gouvernement ne font que retarder la révolte qui grande. Mais les beaux discours finissent par sonner creux :«L’Histoire s’écrit mal à cause de littérateurs comme toi qui ne savent pas la grammaire des hommes.»
Le Palais finit par être envahi et l’heure des règlements de compte sanglants a sonné. «Tu peux museler les médias, assommer les consciences à coups de bêtes slogans et de publicités mensongères, comme les empereurs d’autrefois gaber les panses de pain, organiser des fêtes et des courses à l’hippodrome, en bref jeter de la poudre aux yeux, tu le peux bien sûr, tu peux tout. Mais voici la vérité : tu es l’assassin de ton peuple.»
L’acte final de cette tragédie entre en résonnance avec bien des événements et nous propose une réflexion sur l’aveuglement du pouvoir, sur la justesse des causes défendues, sur la frontière tenue qui existe entre l’ordre et la liberté, entre un asservissement qui assure une certaine stabilité et une liberté, d’autres diront un chaos, qui ouvre la voie à bien des excès.
Marie Barthelet, en ne donnant ni références historiques, ni géographiques, ni même religieuses, livre au lecteur toutes les nuances du possible. S’agit-il d’une cause juste ou d’un combat d’intégristes ? Chacun se fera son opinion…
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