Voilà de la bonne petite SF optimiste comme on l'aime... Je ne pense pas que Ian Watson soit très connu en francophonie. Il n'y a d'ailleurs qu'un seul de ses romans ( son premier, L'Enchâssement) qui soit disponible chez nous depuis peu, après un vide éditorial de plus de vingt ans. Son activité la plus médiatisée fut sa collaboration avec Stanley Kubrick pour le scénario de A.I., film finalement mâchouillé par un Steven Spielberg plus mélo que jamais.


Chronomachine lente est, quant à lui, un recueil de nouvelles. Treize histoires qui oscillent entre la hard science, le cyberpunk, le post-apocalyptique, le space-opéra ou encore la fable. La tessiture fictionnelle de Watson semble donc assez large. Pourtant, c'est la même obsession qui reviendra en boucle tout le long du recueil: l'homme doit s'accomplir spirituellement à travers la souffrance et la mort.


Ton sang, tel du lait fait ainsi intervenir la torture comme voie d'accomplissement de la mythologie aztèque. Le mélange est pour le moins... étrange et peut-être un poil tiré par les cheveux. L'univers décrit, entre cité "idéale" et réseau routier à la Mad Max, est cependant très bien vu.


Sur un tabouret en bois d'étoile est plus court et plus maitrisé, avec une chute d'une ironie et d'une méchanceté sans limite. Jusqu'où seriez-vous prêt à aller si on vous interdisait un moyen infaillible de guérir votre cancer ? Une réussite totale, qui surfe sur certains thèmes cyberpunks alors que William Gibson n'avait pas encore publié Neuromancien et qu'il n'avait écrit qu'une nouvelle (Fragments de rose en hologramme, en 1977). Visionnaire, le Watson ?


Agoraphobie, an 2000 est le récit du suicide rituel d'un astronaute japonais exclu d'une société futuriste. Je n'ai personnellement pas vraiment compris où l'auteur voulait en venir, mais pourquoi pas.


Une histoire d'amour programmée est encore typique des nouvelles de William Gibson, avec cette histoire d'amour (sic) qui vire à l'absurde à cause du vertige technologique. La fin est par contre d'une telle platitude, l'exact opposé d'une "chute" en fait, qu'on se retrouve finalement à mille lieues des nouvelles du fondateur du cyberpunk. Le cadre, une nouvelle fois un Japon futuriste, fait écho à la vie cosmopolite de Watson.


La fille qui était de l'art jette plusieurs idées intellectuellement stimulantes mais peine à en faire une histoire cohérente.


La belle convergence de nos amours géodésiques relève fortement le niveau en associant peur de l'inconnu (des extraterrestres invisibles du début à la fin), quête de l'âme-soeur et mathématiques. Touchant, subtil et original, une belle claque.


Rêves d'immunité torture des chats pour découvrir le véritable but de nos rêves. Pour être franc, le héros, obsédé par le cancer, rend le tout un peu insensé mais il y a une vraie poésie macabre dans les idées abordées.


Mon âme à la nage dans un bocal à poisson rouge est une fable métaphysique qui se veut aussi un peu cocasse mais... non, pas vraiment. Un peu dans le sens des nouvelles de jeunesse de Dick, quand il arrivait à celui-ci de pondre des petits textes sans queue ni tête à l'ambiance plus fantastique que S-F.


Les réfugiés de Roentgen est l'histoire la plus lente et la plus faible de tout le recueil certainement. La leçon d'humanité bien-pensante infligée à l'homme blanc qui a sacrifié tous les pauvres et les gens de couleur pendant l'apocalypse est d'une lourdeur et d'une convenance qui dénote avec la subtilité habituellement affichée par Watson. Cependant, le tout est sauvé par la réflexion théologique qui tendrait à prouver, en cas de catastrophe majeure infligée à l'humanité, que Dieu n'existe pas. La réponse proposée par Watson est plutôt: si, Il existe, mais Il souhaite juste que l'Homme meurt. Vous voyez l'ambiance d'ici...


Nos rêves renversés est juste génial. Sans doute la plus grande réussite du livre. Du space-opera qui profite de la présence d'extraterrestres pour infliger au lecteur un délicieux paradoxe temporel basé sur notre manière de percevoir la réalité. Il faut juste un peu s'accrocher mais ça vaut largement la peine. La chute est, pour ne rien gâcher, encore une fois bien cruelle...


Nouveau space-opera avec De la cuisson du Héros-Prime au printemps. Des extraterrestres vivent sur une planète aux conditions tellement fluctuantes qu'ils en viennent à nier la réalité... excepté la souffrance, d'où la nécessité de torturer (décidément...) et tuer régulièrement l'un des leurs. La culture cosmopolite de Watson explose une fois de plus avec l'utilisation du Bardo Thödol (le Livre des Morts tibétain) comme champ d'investigation psychique permettant la communication supralinguistique entre les espèces intelligentes. Tout ça pour un résultat finalement assez simple et nauséeux qui cadre parfaitement avec la ligne littéraire légère et souriante proposée depuis le début du recueil...


L'horizon évènementiel est un récit aussi dense que dégoûtant. Ce qui ne signifie pas mauvais, notez-le bien. Watson combine la physique des trous noirs (super !) à l'amour tantrique (génial !) pour aboutir à une découverte de la divinité que j'ai trouvé tout simplement... répugnante. Et pas mal absurde aussi. En fait, je crois que c'est l'ambiance générale du recueil qui commençait me peser à ce moment de ma lecture. Et peut-être aussi le fait que je buguais de plus en plus sur l'horrible couverture de cette unique édition française (mais matez-moi ce transsexuel albinos, bordel !). Non, vraiment, Watson en fait trop et ressemble de plus en plus à un détraqué mystique capable de poursuivre nu des petites vieilles dans la rue en leur parlant de Bouddha...


Enfin, La machine a voyager très lentement dans le temps est une nouvelle assez complexe, qui s'apprivoise. La hard-science établit un nouveau paradoxe temporel tout en réfléchissant au pouvoir manipulateur de la religion. C'est en effet un Prophète fou qui voyage à travers le temps en sens inverse... et en temps réel. Vingt-cinq ans enfermé dans sa bulle temporelle à rebrousse-temps dans un but innocent ou pervers, à vous de voir... Une conclusion idéale, quoi qu'il en soit.


Tour à tour léger et lourdingue, spirituel et extatique, brillant conteur ou rigide chroniqueur , Watson reste, au moins, presque systématiquement original. Instable, peut-être génial, son livre m'a fait l'effet d'un repas trop copieux mais qui me donne parfois paradoxalement l'envie de le goûter à nouveau afin d'en apprécier davantage les saveurs dissimulées. Et puis, si j'en crois Watson, peut-être trouverai-je Dieu dans mon vomi.

Amrit
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lectures 2016

Créée

le 18 sept. 2016

Critique lue 121 fois

9 commentaires

Amrit

Écrit par

Critique lue 121 fois

9

Du même critique

Lost : Les Disparus
Amrit
10

Elégie aux disparus

Lost est doublement une histoire de foi. Tout d'abord, il s'agit du sens même de la série: une pelletée de personnages aux caractères et aux buts très différents se retrouvent à affronter des...

le 9 août 2012

238 j'aime

79

Batman: The Dark Knight Returns
Amrit
9

Et tous comprirent qu'il était éternel...

1986. Encombré dans ses multivers incompréhensibles de l'Age de Bronze des comics, l'éditeur DC décide de relancer la chronologie de ses super-héros via un gigantesque reboot qui annonce l'ère...

le 3 juil. 2012

99 j'aime

20

The End of Evangelion
Amrit
8

Vanité des vanités...

Après la fin de la série, si intimiste et délicate, il nous fallait ça: un hurlement de pure folie. La symphonie s'est faite requiem, il est temps de dire adieu et de voir la pyramide d'Evangelion,...

le 21 juil. 2011

96 j'aime

5