« Quand l’astéroïde arrivera, tu seras encore là, en train de crier : Halte ! Police »
Concord, New Hampshire, la ville US où il ne se passe pratiquement jamais rien. Hank Palace, flic de base récemment promu inspecteur en raison de nombreuses démissions, a pourtant un sacré job à y accomplir. Il doit élucider la mort de Peter Zell, banal agent d’assurances retrouvé mort dans les toilettes d’un fast food, sa ceinture nouée autour du cou. Alors que tous ses confrères – y compris la légiste qu’il convainc de pratiquer une autopsie – concluent à l’évidence du suicide, Palace n’écoute que la petite voix qui ne cesse de lui souffler qu’en dépit des apparences, il s’agit là d’un meurtre. Pourquoi se suicider avec cette ceinture ultra-chic qu’il vient de s’acheter à vingt kilomètres de la ville ? Pourquoi ce bleu à la cheville de la victime ? Pourquoi Zell collectionnait-il toutes les informations relatives à l’astéroïde Maïa dans une boite mystérieusement marquée 12,375 ?
Ces questions, il est le seul à se les poser, tous les autres s’en foutent, car la fin du monde est annoncée. Dans six mois, un astéroïde de 6,5 km de diamètre va entrer en collision avec la terre, alors que la chance de rencontrer un tel monstre était de un sur 250 millions. En est-on certain ? À 100 %. Quel que soit le point d’impact, celui-ci, d’une puissance de mille Hiroshima, déclenchera une série cataclysmique de tremblements de terre et de tsunamis qui emportera la moitié de la population mondiale, alors que le sort des survivants sera lent et froid, semblable aux suites d’un hiver nucléaire. Alors un cadavre de plus ou de moins… Dans six mois ce sera peine capitale pour tout le monde, que les condamnés aient quelque chose à se reprocher ou pas. Il ne resterait plus qu’à chanter « On ira tous au paradis... » pour se consoler si nous n’étions pas de l’autre côté de l’Atlantique.
Avec ce premier volet d’une trilogie que l’on sait et que l’on sent à suspense, Ben Winters hybride avec bonheur le roman policier et la SF « pré-apocalyptique », chacun des deux genres s’enrichissant de la valeur ajoutée de l’autre. Au cours de son enquête qui va l’amener à interroger la famille, les collègues et les relations de Zell, Palace va faire de bonnes (une idylle naissante) et de mauvaises rencontres (des trafiquants), et suivre des pistes qui de fil en aiguille l’emmèneront dans des zones d’ombre et de danger insoupçonnées. Une enquête difficile qui se déroule dans une ambiance crépusculaire dont l’humour, certes un rien désenchanté, n’est pourtant pas absent : « Franchement, inspecteur, vous achèteriez une assurance-vie en ce moment ? »
Le ton est juste, et par touches successives, Winters dresse un tableau saisissant des « jours d’avant » la Mort venue du ciel. Que faire si l’on sait que la fin est proche ? On continue de travailler ? On démissionne et l’on part faire ce dont on a toujours rêvé ? On va se suicider dans « la Ville des pendus » ? On se remet à fumer ? On se drogue ? On vole un bus pour un rodéo mécanique ? On échafaude des théories loufoques sur les erreurs de calcul des plus grands scientifiques mondiaux ou sur les plans secrets d’évacuation du gouvernement américain ? S’il y a une société bouleversée dont la « Loi Sécurité et Stabilisation en Préparation de l’Impact » essaie de sauvegarder la cohésion, il y aussi des individus à l’heure du choix. Celui de l’inspecteur Palace est de trouver le meurtrier de cet agent d’assurances obsédé par l’Armageddon annoncé, choix judicieux, car la résolution de l’énigme constituée par ce fait divers pourrait bien ne pas être une conclusion, mais un premier pas qui l’amènerait à découvrir ce qui se trame en coulisses de ce drame cosmique. La greffe des deux genres est prenante et surprenante, et Dernier meurtre avant la fin du monde est une réussite dont on attend la suite de pied ferme.
(1st printing : SF Mag 89, oct. 2015)