Critique publiée dans le cadre des Explorateurs de livres 2019 du site lecteurs.com
Dévorer le ciel a beaucoup de points communs avec Une bête au paradis de Cécile Coulon (voir ma critique sur le site). L'action se déroule principalement dans une ferme des Pouilles, on y découvre les difficultés de la vie à la ferme, de l'aridité de cette province du sud de l'Italie où l'eau vient toujours à manquer. Mais la comparaison s'arrête là, le roman étant beaucoup plus long, plus détaillé, plus étoffé, à mon sens plus nuancé, plus tourmenté, avec plus de personnages et surtout plus de thématiques abordées.
D'abord, le livre ne se cantonne pas à décrire la vie à la ferme. On y découvre des personnages qui ont tous beaucoup de profondeur et sont très bien décrits. Ils sont relativement nombreux, mais pas au point de noyer le lecteur : j'ai ainsi pu suivre avec plaisir l'évolution de la vie de chacun des personnages principaux et secondaires sans jamais revenir en arrière pour comprendre de qui il s'agissait. On y découvre aussi une grande diversité de lieux, de Turin à l'Islande, en passant par Kiev. La confrontation entre les climats, les ambiances urbaines et rurales, la plage et la ferme, les petits appartements étriqués, chaque lieu apporte son lot de sensations qui renouvellent toujours le plaisir de lecture.
L'envie de toujours tourner la page est réamorcée régulièrement par les différentes péripéties qui s'enchaînent bien, le livre prenant à partir du chapitre 3 une note plus sombre et qui ne cessera de s'assombrir jusqu'au dénouement final. Si le livre débutait comme une romance d'été entre adolescents, il s'étoffe ensuite et gagne en profondeur, pour aborder des thèmes beaucoup plus sérieux et adultes : le rapport à la religion, la permaculture, la natalité, la mort, le deuil, la réincarnation, l'adoption, la drogue, l'anarchisme, sont un aperçu des thématiques abordées avec une grande justesse, toujours dans les nuances de gris, sans manichéisme ni jugement porté par l'auteur sur ses personnages et sur la société italienne dans ses contradictions.
Il est vrai qu'il s'agit ici du livre d'un écrivain déjà expérimenté malgré seulement trois ouvrages parus, le premier ayant été récompensé par le prestigieux prix Strega, l'équivalent du Goncourt français. Détail notable, Paolo Giordano est le plus jeune auteur à avoir obtenu le prix, j'ai donc vite compris que je n'avais pas affaire à n'importe qui.
Et cela se ressent dans le style qui fait très bien ce que j'attend de ce genre de roman : décrire les scènes, les situations avec beaucoup de justesse, aller droit au but, à l'essentiel ; ajouter les petits détails qui font encore une fois l'intérêt de ce genre de lectures. Le choix d’une narration non chronologique démontre également le savoir-faire de l'auteur, qui, comme Christopher Nolan au cinéma, sait jouer du temps de la narration pour décupler le plaisir du lecteur.
Une excellente lecture donc, entachée seulement par quelques scènes un peu caricaturales (je pense à la scène de l'interview avec la journaliste), et un personnage féminin, Teresa, que je ne peux m'empêcher de trouver fade en comparaison des trois personnages masculins principaux, qui sont les vrais "héros" de cette fable moderne : Tommaso touchant, Bern rayonnant, seul Niccola apparaît plus en retrait, plus fonctionnel dans cette fiction que les autres.
Je ne manquerai pas de lire La Solitude des nombres premiers, l'ouvrage qui l'a fait connaître du grand public italien comme français désormais, grâce à l'excellente traduction de Nathalie Bauer.