1954, l'année de la sortie des Sept Samouraï d'Akira Kurosawa chez Tôhô, la même maison de production qui produit Godzilla la même année. 1954 a donc été l'année de sortie d'un des plus grands films d'action de l’histoire du cinéma, et d'un film ayant initié le genre du Kaijû, le cinéma de monstre. Une grande année donc dans l'histoire cinématographique du Japon.
Avec ce film de monstre dans la lignée de King Kong, Ishirô Honda livre ce qui est devenu aujourd'hui un mythe de la pop culture. Je n'ai pu voir que la version française du film, qui d'après Wikipédia correspond à un montage différent de l'original en japonais, il faudrait donc que je revois le film dans sa version originale pour comparer. La version française m'a paru cohérente, et la force évocatrice des images était bien présente.
Malgré son âge, la magie du film a opéré sur moi. Le monstre est crédible, et le film parvient à poser rapidement son ambiance et son propos sur le nucléaire, la peur de la destruction, la puissance de la technologie, et tout ce que la critique aura bien voulu lui faire dire. On perçoit très bien chez tous les différents personnages ce sentiment mêlé de fascination et de peur, qui est constitutif du "sublime" tel que le définit Kant : "un plaisir négatif".
De nombreux plans sont très bien construits, notamment un plan où l'on voit Tokyo embrasée : l'eau de la baie de Tokyo, la terre de la ville, le feu et le ciel empli de fumées se superposent pour créer cette impression de "totalité" là encore propre au sublime kantien (et oui coco, toi aussi fait de la philo avec Godzilla).
On y retrouve de nombreuses substitutions, inversions ou glissements intéressants :
Le professeur Yamane, représentant de la science et de la raison, confronté aux hypothèses superstitieuses des habitants de l'île d'Odo, se retrouve confronté au monstre (voir c'est croire). Il donne devant une assemblée parlementaire une explication rationnelle à l'arrivée du monstre, avant de chercher à s'opposer à ce qu'on cherche à abattre le monstre. Il y a donc un constant balancement entre la raison et la sensibilité.
Même balancement lorsque la jeune Emiko, venue annoncée à Serizawa qu'elle souhaite le quitter pour Ogata, se retrouve finalement confrontée à la découverte effroyable du scientifique. Au sentiment se substitue la raison.
Enfin, à la croyance superstitieuse des habitants de l'île d'Odo, où un vieux pêcheur dit qu'il faut sacrifier une jeune fille au monstre-dieu, se substitue le sacrifice final du scientifique-sauveur incapable de faire face à sa propre oeuvre de destruction.
Un grand film donc, où l'être humain est justement réduit à sa place de pauvre hère face aux déchaînements conjugués de la puissance de la "nature" et de la technologie humaine. Un film qui fait encore échos aux problématiques contemporaines, et qui en aura probablement pendant encore longtemps.