Monique Laruche a menée l'enquête sur un phénomène underground, néo-beauf et christique : Doudoul, le chanteur de Fais-moi guili et Si tous les chevaux, qui vient d'atteindre la consécration avec sa Danse de l'abeille. Ce dernier morceau, point culminant de sa créativité, lui a aussi permis de doper sa notoriété grâce à un passage (éclair hélas) dans l'émission de Direct 8 Touche pas à mon poste ! (sorte de zapping dégénéré, avec débats aberrants, généralement focalisé sur la télé-réalité).
Toutefois Monique enquête à sa façon : introspective, inquisitrice, avec des conclusions catégoriques et des projections nébuleuses. Une fois encore la dimension prophétique dépasse le sujet dont elle prétend se nourrir (mais en gardant un respect total à son égard). Monique s'intéresse assez peu à Doudoul, l'artiste à la carrière en dents de scie, véritablement ressuscité grâce à ses projets des années 2012-2015. En fait Doudoul (pseudo adopté par Jean-Pierre Deschamps en 1987) a déjà un demi siècle d'activité derrière lui et un succès d'envergure binationale avec Le bébé éprouvette (1977, l'époque où il s'appelait encore Doudou – la concurrence du bassiste de Johnny Halliday aura raison de lui) ; il y eut également, moins fameux, La java des routiers, Le piston de papa et Les cerfs-volants (voir ce site de fan et le site officiel).
Ce Doudoul, difficilement abordable a-prori, Monique ne l'a pas rencontré. Consciente de la dangerosité des hommes qui se cachent derrière leurs monstres, elle s'en est tenue aux créations. Elle y a vu les manifestations d'une éthique résolument post-moderne en dépit de ses apparences régressives. Non seulement elle identifie un phénomène ignoré, mais en plus elle le nomme : c'est le doudoulisme. Il serait actuellement hégémonique, séduisant des gens pourtant non atteints (les catégories sociales les plus aisées et les plus défavorisées seraient, étrangement, imperméables). Pourtant, en dépit de son éventuelle influence, le doudoulisme 'véritable' ne peut être obtenu par qui le veut. Selon Monique Laruche, le doudoulisme serait le résultat 'positif' mais aveugle d'une décompensation extrêmement profonde et précoce.
Le doudoulisme est une forme de nihilisme actif mais entraînant un comportement à la fois conformiste socialement et sévèrement dégradé par ailleurs. « Le doudoulisme conscient n'existe pas, mais la conscience doudoulienne existe. » Le doudoulien (sujet frappé de doudoulisme) a perdu tout espoir, toute joie sincère et toute sécurité depuis l'aube de son existence (une dépression majeure peut amener aux abords du doudoulisme mais ce ne sera jamais qu'un mirage). Il est habitué à cet état et perçoit sa différence mais ne la comprend pas ; ce qu'il comprend c'est la nécessité de camoufler ce manque dramatique d'illusions, de consistance humaine propre (le doudoulien est comme dépourvu de 'présence') et de connexion à l'essence du vivant. Le doudoulien pourrait ressembler à un sous-psychopathe pacifiste et même amical, mais il est plutôt un être à la fois vide et ultra-sensible. Il est affecté par « une sensibilité apparente à tous les stimulis, qui est en fait la résultante de son effroi absolu et permanent face au néant ressenti. »
Le problème doudoulien est d'autant plus alarmant qu'il est incurable. Monique Laruche précise (citation approximative) : « Le doudoulien est infirme, intrinsèquement il ne peut rien produire d'humain, sauf à se fondre dans les éléments les plus triviaux. » Par ce moyen il se rassure sur son adhésion au réel et, galvanisé, il s'élance dans des parades festives, jouant le mieux possible l'intégration dans ses représentations (mélange de 'délires' et de médiocrités limpides refoulées et refourguées par l'environnement) ; toutefois son euphorie serait « vaine sur le plan énergétique » en plus de renvoyer, simultanément, le doudoulien à l'inertie de ses affects. L'envers positif de cette formation réactionnelle serait « la mise à nu par ricochets des défenses doudouliennes, ouvrant la voie à une conscience de soi qui, dans le cas du doudoulien [étant dépourvu d'esprit de toute nature et seulement pourvu d'un mental comparable à une caisse enregistreuse – aux inclinaisons monolithiques], mène à la réassurance fondamentale qui lui fait défaut ». Ainsi, le doudoulien pourrait, au bout de ses humiliations consenties et de ses fausses joies, arriver à une plénitude que l'ensemble des autres êtres humains lui enviraient.
Voilà un livre essentiel pour aborder la philosophie doudoulienne. Du point de vue de Monique Laruche, l'important est finalement moins ce qu'est Doudoul, encore moins ce qu'il croit être (car il pratique abondamment l'introjection, bien qu'elle ait un caractère mécanique et stéréotypé chez lui, donc souvent stérile à moyen-terme et toujours grotesque) ; que ce qu'il peut devenir. Cet essai s'apparente à une leçon de coaching adressée à tous les Doudoul, notamment ceux qui en raison d'une certaine élévation spirituelle (contrairement au Doudoul véritable à ce stade de maturation) seront réceptifs à ce que Monique désigne comme le « dépassement doudoulique », qui leur permet de conscientiser leur condition et d'entrer dans un état où il est transformé en philosophie (engendrant alors un semblant 'd'authenticité' optimal).
Cette évolution n'est surprenante que pour les lecteurs les moins avertis de Monique Laruche. Sa sensibilité et ses préoccupations pour le développement humain l'ont déjà amenée à de brillants travaux, où la sécheresse de l'expression était comme un voile pudique sur son implication passionnée. Doudoul : entomologie d'une abeille s'avère l'un de ses meilleurs ouvrages, en dépit de certains passages d'une aridité exagérée. Les cas doudouliens recensés sont exposés de façon très rigoureuse, les faits rapportés concernant le cas n°3 (six portraits sont taillés) étant édifiants quant au quotidien d'un doudoulien non-accompli, vu par lui-même avec des années de recul. Notons enfin que Monique Laruche, passée par l'auto-édition et des compromis peu satisfaisants, est maintenant pleinement maîtresse de ses moyens de production grâce à la société fondée avec Emmanuel Bourre (les éditions Bourre Laruche, dont c'est le second manuscrit publié).
https://zogarok.wordpress.com/2015/12/17/doudoul-entomologie-dune-abeille/
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