Eugeni d'Ors interroge une vision causale de l'histoire à travers ce qu'il appelle des «éons» — des types ou des catégories — qui transcendent des diachronicités temporelles et géographiques. Il y a l'éon Classique (ce qui est rationnel, unitaire, stable, etc.) et l'éon Baroque (ce qui irrationnel, multiple, en mouvement, etc.). Son «système» permet de lire les manifestations humaines non pas au travers des déterminations causales et ainsi à travers des mouvements historiques ou artistiques; mais à travers cette grille de lecture transhistorique et transdisciplinaire qui permet d'analyses les résurgences de l'éon Baroque ou de l'éon Classique. Le Baroque n'est plus un adjectif, pas plus un «style historique»; il est un «style de culture», un genre permanent qui admet des espèces qui, elles, peuvent se situer dans le temps. Par exemple et en vrac: Lautréamont, Rousseau, Gœthe Wagner voire même l'art préhistorique répondent de l'éon Baroque. Poussin, Saint-Augustin, Zénon d'Élée, Corneille répondent à celui Classique.
Personnellement, son idéalisme me fait un peu tiquer; sa lecture de Rousseau m'a semblé assez branlante; certaines de ses démonstrations, basées sur des analogies avec le monde biologique, sont très discutables. Sa grande érudition est peut-être un peu rebutante et prolixe mais la clarté de son propos permet de tenir le cap. Voire même de donner envie de jeter un œil à l'art portugais, à Watteau, etc.
À vrai dire, je connaissais déjà quelques éléments biographiques et quelques textes d'Eugeni d'Ors (ses Gloses, non traduites en français). Et j'ai été très étonné de voir que cet écrivain clairement situé du côté l'éon classique (pour reprendre ses propres concepts) ait pu produire un livre assez hétérogène dans la forme… et sur le Baroque.