Si on m'avait dit un jour que je dévorerais en une semaine un livre de quasiment 400 pages dont le titre est "Du champagne, un cadavre et des putes", je ne l'aurais pas cru.


Premièrement, je n'aime pas l'alcool et je n'échangerais pas une bouteille du meilleur champagne au monde contre une barquette de myrtilles. Deuxièmement, je ne suis pas du tout polar. Cette idée de devoir découvrir qui est l'assassin ne m'intéresse pas trop, comme le monde des flics, des truands etc. Récemment j'ai découvert la série Columbo (à quarante ans, tout arrive) et j'aime mieux l'idée de voir comment l'inspecteur va coincer le coupable, que l'on connait dès le début de l'épisode. Troisièmement, tout ce qui touche à la prostitution, aux escorts ou au "monde de la nuit" ne m'a jamais attiré, fasciné ou excité.


Ces trois postulats font qu'en principe je n'aurais jamais lu ce livre. Sauf que je connais le travail de l'auteur, Tristan-Edern Vaquette, depuis presque vingt ans. Les plus curieux et curieuses iront sur Wikipédia pour connaitre ses œuvres antérieures, mais pour faire court, disons que c'est un artiste performer, musicien et écrivain. Je suis son œuvre depuis une vingtaine d'années, j'avais adoré son roman précédent ("Je gagne toujours à la fin") et j'étais très curieux de découvrir son dernier livre.


De quoi s'agit-il ? D'un roman policier prévu pour s'étaler sur 4, 5 ou 6 volumes (si j'ai bien compris). Le premier tome est paru fin 2018. Si au départ on peut être rebuté par un polar faisant 400 pages - avec en plus un "à suivre..." à la fin - j'encourage tout le monde à au contraire plonger dedans, car ce livre, c'est bien plus que ça ! Le polar n'est que la surface de l'œuvre, le contenant, un prétexte qu'utilise Vaquette pour décrire différents univers, ceux où évoluent Alice (l'héroïne assassinée) au fil de sa vie, que l'on découvre via son journal intime, et les mêmes univers/lieux, mais revisités au présent quelques années plus tard par le commandant Lespalettes (chargé de l'enquête), et au fil des pages on se rend compte qu'on est en fait en train de lire un roman social, bien plus profond qu'un simple "Qui a tué Alice ?"


Tout ou presque est prétexte à aborder différents sujets : les familles qui n'encouragent pas leurs gosses, les marchands de sommeil, les agences de mannequins, les vieux porcs des bars à hôtesses, les galères, la justice... Y compris des choses plutôt lumineuses comme le moment où Alice travaille dans une boite avec un patron "cool". Et c'est un vrai délice de voir le commandant Lespalettes recadrer à peu près toutes les ordures qu'ils rencontre (et aussi être bienveillant avec les autres, car l'ambiance est pas mal "men are trash" dans ce livre, et tant mieux, mais y'a aussi de la lumière).


Autre chose intéressante : le livre n'est pas juste un aller et retour entre le passé et le présent. Il y a également des passages que l'on pourrait apparenter à des documents qu'un policier collerait au mur dans une série, les reliant avec des fils à d'autres éléments. Ainsi, quand Alice rencontre un mec qui a eu des soucis de justice, on lit la plaidoirie touchante de son avocat, comme un flashback dans un flashback. De même, quand Alice monte à Paris et bosse dans un bar à hôtesses, on lit le post d'un membre de ce bar faisant sa description sur un forum internet. Tout est vraiment fouillé, détaillé, y'a un côté "Je me presse le citron pour que tout soit le plus vrai possible" qui est fantastique. Un peu comme si Tolkien, au lieu de passer 10 pages à nous décrire la cité Minas Tirith, utilisait ces 10 pages pour nous faire lire le journal intime d'Aragorn, ses états d'âmes, ses questionnements etc.


L'œuvre de Vaquette étant jusqu'ici plutôt "masculine", j'ai été très agréablement surpris de le voir écrire (en grande majorité) du point de vue d'une jeune fille. Lire l'histoire d'Alice en sachant qu'elle finit plus tard assassinée donne un parfum tragique à l'ensemble, comme un compte à rebours macabre. Un compte à rebours d'autant plus macabre qu'au fil de la lecture on sent une immense envie de liberté de la part d'Alice, et c'est un vrai calvaire que de la voir naviguer de Charybde en Scylla, même si par moments des rayons de lumière pointent au travers des nuages obscurs. Un calvaire, certes, mais on a aussi envie qu'elle s'en sorte, et cette empathie avec le personnage est brillamment construite.


Le passage qui m'a le plus touché du livre est probablement le moment où elle trouve (enfin) un boulot stable avec un patron cool, et même un mec sympa, sauf que... Sauf que quand on bosse 35 heures par semaines, on a presque plus le temps de lire, de faire des projets personnels, quand on rentre le soir on est crevé. On a l'assurance d'avoir un CDI, oui, mais et le frisson de l'aventure ? Où est l'aventure a avoir un poste stable où il ne se passe rien ? Où est l'adrénaline quand on a de grands projets dans sa tête, une gigantesque envie de liberté, d'indépendance, des rêves fous, mais que toute notre vie est finalement réglée par un emploi du temps bien millimétré ? Je pense aux paroles de la chanson d'Alain Souchon "Le Bagad de Lann-Bihoué" : Tu la voyais pas comme ça ta vie. Pas d'attaché-case quand t'étais p'tit. Ton corps enfermé, costume crétin. T'imaginais pas, j'sais bien. Moi aussi j'en ai rêvé des rêves, tant pis. Tu la voyais grande et c'est une toute petite vie. Tu la voyais pas comme ça, l'histoire. Toi, t'étais tempête et rocher noir. Mais qui t'a cassé ta boule de cristal. Cassé tes envies, rendu banal? (...) Doucement ta vie t'as mis K.O..."


Ce premier tome se termine par un beau suspense (que je ne dévoilerais pas ici) qui donne très envie de lire la suite, car même si on sait qu'Alice va finir assassinée, même si l'on se doute (un peu) que le commandant Lespalettes coincera le tueur (ou la tueuse ?), j'ai vraiment envie de découvrir la suite de son parcours, une suite d'autant plus alléchante que les titres des prochains chapitres sont annoncés à la fin de ce premier tome...


J'en ai peut-être trop dit dans cette critique, mais de toute façon le temps que vous commandiez le livre sur le site de Vaquette, le temps qu'il arrive et le temps que vous le lisiez, vous aurez oublié ce que j'ai écrit. Merci de m'avoir lu jusqu'au bout, et bonne lecture !

Tubulamarok
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le 22 mars 2020

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Tubulamarok

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