Avant d’écrire cette critique j’ai relu celles que j’avais écrit pour les deux premiers tomes. Voilà un rapide résumé de ce que j’avais dit : tout ce qui touche à la prostitution ne m'a jamais excité ou rebuté. Idem pour les polars. Mais là où c’est chouette, c’est que ce polar est un prétexte utilisé par l’auteur pour décrire différents univers, ceux où évoluent Alice (l'héroïne escorte assassinée) au fil de sa vie, que l'on découvre via son journal intime, et les mêmes univers/lieux, mais revisités au présent quelques années plus tard par le commandant Lespalettes (chargé de l'enquête). Au fil des pages on se rend compte qu'on est en fait en train de lire un roman social, bien plus profond qu'un simple «Qui a tué Alice ?» Fin du résumé de ma critique des deux premiers tomes. Ce troisième tome est, à mon humble avis, le plus intéressant, mais aussi le plus difficile.


La première chose que je retiens de ce troisième tome, c’est que c'est une thèse. Une magnifique thèse, grande et belle, en béton armé, au sens propre comme au sens figuré. Et comme souvent avec les thèses, c'est long, et de nombreuses fois je me suis arrêté au bout de vingt pages pour reprendre le lendemain. Ce n’est pas tant la longueur ni le style (toujours percutant et efficace) qui m’a rebuté. On pourra très bien trouver ce troisième tome généreux, fouillé, documenté, philosophique, sociologique, mais dans le cas d’une personne qui a beaucoup apprécié la variété des situations des deux précédents tomes (l'adolescence, les petits boulots, les questionnements d'Alice, les différents personnages, les différents lieux etc) ce troisième tome aura un peu plus de mal à passer. Alice est comme qui dirait «installée», et ce côté statique m’a moins emballé. Mais peut-être faut-il passer par là ! Je dis d'ailleurs «installée» mais tout ce que dit Alice démontre aussi que cette «installation» n'est pas si sereine que ça.


La deuxième chose que je retiens, c’est que ce troisième tome est un magnifique plaidoyer pour la liberté. Pas pour rien que le mot est aussi visible sur la quatrième de couverture. Liberté d’un côté avec d’Alice qui s’épanouit en tant qu’escorte au lieu de se faire chier dans un boulot aliénant comme la très grande majorité d’entre nous, mais également liberté de Lawrence à qui ça ne pose pas du tout de problème que son amoureuse ai choisi cette voie-là. Car l’amour c’est (entre autres) encourager son ou sa partenaire dans une voie où il/elle s’épanouit, surtout si c’est une voie choisie. Laisser à l’autre sa liberté, son libre arbitre, sa conscience... On apprendra par ailleurs que d’un point de vue légal, apporter le moindre petit soutien à une personne qui se prostitue (volontairement ou non) fait de vous un(e) proxénète, comme si l’on mettait dans le même sac un homme qui prostitue sa fille de 8 ans et un coiffeur qui, voyant que des voyous emmerdent les prostituées bossant en face de son salon, décide de les héberger quelques heures le temps que les emmerdeurs s’en aillent. Les longs monologues de Lawrence face à Lespalettes pour faire comprendre que ça ne lui pose aucun problème qu’Alice se prostitue sont vraiment intéressants. C’est singulier de lire un tel point de vue. On pourrait dire sans problème que tout ce qui est dit par Lawrence dans ce troisième tome déborde de l’amour qu’il porte à Alice. Ca n’est pas rien. Une très belle continuité du deuxième tome.


Les très longs posts d’Alice où elle défend sa condition de prostituée sont également parfaits. Elle nous parle de son indépendance, des gens qui veulent interdire la prostitution, de ces gens qui veulent l’abolir - il y a d’ailleurs un passage très intéressant sur la différence entre ces deux notions. C’est vraiment une plongée intéressante dans un univers que je ne connaissais pas. C’est si bien décrit qu’on se demande si Vaquette n’a pas vécu tout ça lui-même !


Si le thème de la prostitution (et exclusivement ce thème) vous intéresse, ce troisième tome sera une lecture bien plus intéressante que les deux premiers. D’ailleurs il pourrait se suffire à lui-même. Il pourrait être le texte d'un monologue théâtral, oui, franchement ça aurait de la gueule. Les «stigmates» (je vous laisse découvrir par vous-même) sont admirablement décrits, avec tout ce qu’ils impliquent. Je me répète, mais c’est une thèse : c’est très intéressant, mais malheureusement parfois long. Ceci dit les nombreux livres ou documentaires cités par Vaquette m’ont donné envie de creuser le sujet histoire d’être un peu moins bête. Après un troisième tome si bien fourni, sans concessions, documenté et intelligent, est-ce que j’ai hâte de lire le quatrième ? Mille fois oui.

Tubulamarok
10
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le 8 juin 2023

Critique lue 59 fois

Tubulamarok

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