le troisième tome du grand polar social "du champagne, un cadavre et des putes", met en suspens son intrigue policière pour mieux rentrer dans le journal intime de feu son personnage principal, alice. 

ce qui peut se concevoir comme un essai à part entière dans le corps même du roman, sera l'occasion de décortiquer la prostitution sous toutes ses facettes, afin d'en faire saillir le concept de stigmate, et ainsi renverser la place de la putain dans la société.

cette partie impressionnera alors par le monumental travail de l'auteur qui, à force de rigueur, parviendra à condenser la somme de ses approches dans une démonstration dont la limpidité tiendra du tour de force.

ce troisième tome pourrait de ce fait et sans lacune se suffire à lui-même, au point de soulever une question éditoriale inattendue: à une époque où l'émancipation des femmes a pris le relais de leur cul pour faire du beurre, la moindre librairie met aujourd'hui en avant son rayon féministe, au sein duquel il n'est pas aberrant d'imaginer que le journal d'alice, s'il avait été authentique (ou pas), aurait tenu une place de choix entre les publications de mona cholet ou d'elsa dorlin (en dépit d'un sujet et d'une approche plus marginale, certes, qui l'aurait plutôt rapproché de grisélidis réal).

cette perspective aussi paradoxale qu'injuste, et pour hypothétique qu'elle soit, nous renvoie vers la seconde thématique qui traverse à la fois ce tome-ci, le roman entier et pour ainsi dire tout le travail de vaquette: la marginalité, qui elle-même, décidément, est une affaire de stigmate.

à l'instar du rapport entre flaubert et madame bovary, il est évident qu'alice porte en elle une part conséquente de son auteur, au point d'être pour lui une sorte de masque, ou de costume. nous y sentons ainsi, plus qu'avec n'importe quel autre personnage, l'implication intellectuelle et sensible de l'écrivain, au risque parfois de fragiliser l'assise de la jeune femme dans une dépossession aux limites de la schizophrénie. 

dans son écriture même, alice est une force qui danse sur un fil, dont le déploiement semble une marge reliant l'histoire dans laquelle elle se trouve prise (le polar dont elle est la victime) et l'existence dans laquelle elle tente de se réaliser (le journal intime dont elle se veut être la maîtresse).

mais le roman de vaquette sera aussi le témoignage d'une destinée brisée. si la prostitution aura été un moyen d'émancipation pour alice, elle aura également été pour cette autodidacte un premier territoire où éprouver sa vocation littéraire.

emporté par le personnage d'alice, le lecteur de son journal n'aura dès lors de cesse de se poser la question de savoir ce qu'elle aurait pu écrire si une mort prématurée n'avait pas interrompu ses ambitions. aurait-elle creusé sa voie vers des essais tels qu'elle aurait pu en tirer un de son journal, ou bien aurait-elle exploré des chemins plus débordants, et peut-être retrouvé une marginalité cette fois littéraire, celle que partagent les artistes par trop singuliers à qui les librairies sus-nommées ne réservent aucune place sur leurs étals?

vaquette aura travaillé des années à faire vivre "son" alice, nourrie au plus profond du réel, nourrie de vies et d'idées éprouvées, ni entièrement réaliste, ni entièrement hors-du-monde; rappelant la phrase de stevenson: "le roman est une oeuvre d'art non pas tellement par ses ressemblances avec la vie que par les différences incommensurables qui la séparent d'elle".

à lire ce nouveau tome du "champagne, un cadavre et des putes", on mesurera ces différences incommensurables qui nous ramènent de plein fouet à la vie par les chemins détournés de l'expérience littéraire.

les aventures d'alice se poursuivront au tome suivant, enrichissant ce paradoxe, rarement poussé aussi loin, consistant à rendre son âme à un cadavre. que la grâce et la gloire y soient rendues.

TampaxRomana
9
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le 5 juin 2023

Critique lue 50 fois

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