Critique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2020/04/eisenhorn-de-dan-abnett.html


Lectures de confinement Warhammer 40,000, suite – avec un beau bébé, cette fois, de pas loin de mille pages écrit tout pitipiti : l’omnibus compilant toute la trilogie consacrée par Dan Abnett au personnage de l’Inquisiteur Gregor Eisenhorn. On y trouve donc les trois romans de la série (sobrement titrés Xenos, Malleus et Hereticus), ainsi qu’une nouvelle, « Arrière-plan pour une couronne de plus », qui prend place entre les deuxièmes et troisièmes tomes.


La trilogie Eisenhorn occupe une place particulière dans les publications de la Black Library portant sur l’univers de Warhammer 40,000. Déjà, elle est due à Dan Abnett, parmi les auteurs les plus prolifiques, mais aussi et surtout les plus réputés, de la Black Library. Mais la distinction fondamentale est ailleurs : dans cet univers où « il n’y a que la guerre », la trilogie Eisenhorn prend un peu de champ par rapport aux récits de conquêtes et de batailles. La guerre y est présente, forcément, et on a droit à quelques morceaux de bravoure militaire dans chacun de ces trois romans, mais elle demeure le plus souvent à l’arrière-plan ; l’action ne manque pas pour autant, et c’est peu dire, mais la trilogie Eisenhorn est l’occasion d’envisager l’Imperium de l’Humanité sous un angle davantage « civil » que d’usage.


Ceci parce qu’elle met en scène, à la première personne, un Inquisiteur. Ici, quelques explications pour ceux qui ne connaîtraient pas plus que ça l’univers de Warhammer 40,000. Dans les ténèbres d’un lointain futur, l’Imperium de l’Humanité est devenu la plus grande puissance de la galaxie – l’Empereur-cadavre règne depuis dix mille ans sur son Trône d’Or de la Sainte Terra. Mais l’Imperium est en proie à une infinité de menaces : les xenos, soit les autres espèces intelligentes de la galaxie, ne sauraient être tolérés ; il en va de même pour la menace ultime du Chaos, les Puissances de la Ruine résidant dans le Warp et leurs adorateurs infiltrant la société impériale ; quant aux psykers, ces êtres dotés de pouvoirs psychiques en résonance avec le Warp, ils ne seront épargnés qu’exceptionnellement, s’ils font la démonstration de ce que leurs dons douteux et dangereux seront plus utiles que néfastes à l’Empire.


C’est ici qu’interviennent les Inquisiteurs. Comme leurs modèles médiévaux, ils sont à la fois policiers et juges, et les garants du credo officiel. Dans l’univers de Warhammer 40,000, les Inquisiteurs figurent parmi les plus puissants personnages de l’humanité. On ne les conteste pas – ils peuvent faire tomber tout le monde, à l’exception hypocrite des membres de l’Adeptus Mechanicus ainsi que de ceux de l’Adeptus Astartes, soit les fameux Space Marines, trop utiles pour qu’on les taquine sur des points de doctrine. Mais les autres ? Du grouillot le plus insignifiant rampant dans les tréfonds des cités-ruches, jusqu’au gouverneur planétaire issu d’une aristocratie plurimillénaire, ils peuvent tous faire l’objet de la colère de l’Inquisition. Dans les cas les plus extrêmes, les Inquisiteurs sont en mesure de décréter l’Exterminatus, soit l’anéantissement total d’une planète jugée trop compromise et irrécupérable. On ne fucke pas avec les Inquisiteurs.


Ceux-ci ne présentent toutefois pas un front uni. Dans l’approche de leur tâche, ils se scindent en nombreuses « sectes », mais deux courants majeurs doivent être identifiés : il y a, d’une part, les Puritains – ce sont les hommes du dogme inflexible, hostiles à tout écart, qui ne saurait être autre chose qu’une compromission ; les plus extrémistes d’entre eux vont jusqu’à refuser l’emploi de psykers dans les Saints Ordos. Mais, d’autre part, il y a les Radicaux – ce sont ceux qui considèrent que, pour accomplir leur mission, tous les moyens sont bons : si la défense de l’Empire nécessite, par exemple, d’user d’une technologie xenos, voire de conclure un pacte (bien encadré, idéalement…) avec un démon, eh bien, qu’il en soit ainsi – la fin justifie les moyens.


Gregor Eisenhorn, le « héros » de cette compilation (les guillemets s’imposent dans cet univers où il n’y a pas de « gentils », et un Inquisiteur n’est certainement pas « gentil », tandis que l’Imperium est un système totalitaire absolument cauchemardesque), Gregor Eisenhorn, donc, se définit lui-même comme un Puritain de tendance modérée – au début de la série, du moins. L’extrémisme puritain lui est de toute façon inaccessible, car il est un psyker, même si guère puissant. Il perçoit bien ce que les Puritains plus outranciers que lui ont d’obtus, et il déplore leur fanatisme – il perçoit bien, aussi, que nombre d’entre eux se méfient de lui, et un Inquisiteur est le seul homme à même de destituer un autre Inquisiteur. Cependant, il déteste bien davantage les Radicaux – soupçonnant leur corruption intrinsèque. Seulement voilà : ce que nous raconte cette trilogie, d’une certaine manière, c’est comment le Puritain Eisenhorn, au fil de ses enquêtes et aventures, se tourne toujours davantage vers le radicalisme – une trajectoire fatale, anticipée par un interlocuteur hérétique, qui l’assure qu’il en va toujours ainsi… et que, au-delà du radicalisme, les Inquisiteurs dans son genre finissent toujours par ouvrir les yeux et percevoir et accepter enfin la gloire des Puissances de la Ruine.


Mais cet itinéraire demande du temps. Et la trilogie en tient compte : plus d’un siècle sépare les deux premiers volumes, et quelques décennies les deux derniers. Et chaque roman s’étend sur plusieurs mois – ne serait-ce qu’en raison des longs voyages dans le Warp qui y prennent systématiquement place. Eisenhorn – et ses compagnons – changent beaucoup sur cette longue période. Il faut dire qu’il y a un démon, du nom de Chérubaël, qui en veut personnellement à notre Inquisiteur, et le comble de son affection malvenue – mais, en outre, au fil de ses aventures, l’Inquisiteur Eisenhorn perçoit toujours davantage combien la société impériale, à tous les niveaux, est corrompue – oui, à tous les niveaux, et cela inclut l’Inquisition elle-même… Eisenhorn y a des ennemis – nombreux, puissants. Certains sont purs, si trop obtus, mais d’autres ont sombré dans la vénération du Chaos. Et il y a des complots partout. Notre Inquisiteur mûrit dans la défiance et l’obsession… ce qui le pousse toujours davantage aux mesures les plus extrêmes, au point d’y risquer son âme. Disons-le : dans le deuxième et surtout le troisième roman, le vieil Inquisiteur Eisenhorn commet des abominations qui auraient horrifié le jeune Gregor du premier volume – au point ou celui-ci aurait tout fait pour exposer la corruption de son avatar plus âgé, et obtenir sa juste condamnation.


Eisenhorn n’est pas seul, cela dit – il a son équipe, tout droit sortie de Mission : impossible ou ce genre de choses. Elle évolue, elle aussi : en fait, le premier chapitre du premier roman donne le ton, qui voit aussitôt une assistante badass de l’Inquisiteur, qu’on aurait pu croire durable, se faire défoncer irrémédiablement la cheutron. D’autres de ces assistants d’Eisenhorn seront dans ce cas par la suite, tout spécialement dans le très violent dernier volume, même si, comme à son habitude, Dan Abnett « triche » un peu à l’occasion… Mais passons : l’important, c’est que Gregor n’est pas seul. Parmi ses assistants, on trouve par exemple le savant Aemos, ou encore l’intouchable Bequin (une intouchable, dans l’univers de Warhammer 40,000, est une personne dotée d’une résonance psychique négative – comme telle, elle perturbe les psykers proches et les empêche de recourir à leurs pouvoirs ; les exemples les plus célèbres de ces intouchables sont les Sœurs du Silence), et quantité de pilotes, gardes, snipers, espions, etc. Il a aussi des alliés qui ne lui sont pas subordonnés : par exemple, le Libre-Marchand Tobias Maxilla, et divers Inquisiteurs – encore que les sentiments de ces derniers varient, les ennemis devenant des amis et vice-versa.


En tout cas, il a du pain sur la planche. Je ne vais pas rentrer dans le détail des histoires narrées dans ces romans, mais sachez du moins que ça bouge beaucoup, ça va à fond la caisse et quasi non-stop – au point en fait où, parfois, on a l’impression que Dan Abnett improvise et développe son récit au fil de la plume, sans avoir forcément de plan d’ensemble. Au pire, cela produit quelques écueils dans la rythmique : clairement, la fin du second roman est bien trop expédiée, après un intermède probablement un peu trop long et qui s’insère plus ou moins bien dans la trame globale – il y a de cela aussi dans le dernier volume. Mais, si ces tares sont notables et doivent être évoquées, elles ne constituent le plus souvent qu’un effet secondaire acceptable. De manière générale, ce rythme frénétique et passablement pulp fonctionne très bien : on n’a pas le temps de s’ennuyer, jamais ou presque, et on accepte volontiers de se faire balader à travers l’Imperium et dans les strates de sa société, au gré des enquêtes de Gregor Eisenhorn.


Et il faut noter une chose : si ces histoires ne sont donc pas aussi « martiales » que le roman Warhammer 40,000 lambda, elles ne manquent certes pas d’action – en fait, ça pète de partout ! Mais sur un mode plus divers que d’usage, et avec une efficacité très appréciable car plus concentrée. À l’occasion, Dan Abnett concocte à vrai dire des scènes d’action très visuelles et qui marquent durablement – à titre d’exemple, je citerais le défilé du deuxième roman, qui vire à la catastrophe… Il existe semble-t-il un projet d’adaptation en série TV, je suis curieux de voir ce que cela pourrait donner : il y a de quoi faire, mais non sans risque, j’imagine…


La singularité de la trilogie Eisenhorn joue en sa faveur – ainsi que le métier de son auteur, parfois trop visible, parfois trop nonchalant en même temps, un double trait qui me paraît caractéristique de Dan Abnett pour ce que j'en ai lu, mais dont on s’accommode bien à la condition de jouer le jeu. Cet omnibus a été une lecture très divertissante, exactement ce dont j’avais besoin là maintenant.


L’histoire se poursuit au-delà de cette trilogie initiale. Il existe d’ores et déjà une deuxième trilogie, liée à l’inquisiteur Ravenor, qui apparaît occasionnellement ici au côté de Gregor Eisenhorn – je m’en suis procuré l’omnibus, là encore, et lirai ça prochainement. Il existe aussi au moins un projet de trilogie autour de l’intéressant personnage de Bequin, dont le premier volet est paru, mais a priori pas le reste. On verra, en son temps.


Mais, pour l’heure, Eisenhorn a constitué une lecture pop-corn très appréciable.

Nébal
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le 21 avr. 2020

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Nébal

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