En allant voir une pièce de théâtre, nous avons des habitudes de spectateur. Nous savons par essence ce que l’on va voir et ce que l’on ne va pas voir. Avec des mises en scènes n’ayant parfois plus rien d’original, le spectateur le moins attentif (celui qui va au théâtre une fois par an voir moins) saura alors fixer une définition d’un spectacle de théâtre fausse mais que ses habitudes conforteront dans la vérité.
Mais mettre nos habitudes face aux possibilités quasi-infinies de l’art, prendre notre confort et le briser pour essayer de revenir aux questions les plus basiques mais néanmoins les plus dures :


Qu'est-ce que le théâtre?
Si nous sommes d'accord pour dire que le théâtre était, est et sera toujours un spectacle, une performance éphémère, il nous est de plus en plus difficile de dire ce qui constitue le théâtre.
Des siècles et des siècles de théâtre ont fait tomber peu à peu tous les dogmes théâtraux. Aujourd'hui le metteur en scène est libre et plus rien ne lui est imposé. Les lois d'unité de temps, de lieu et d'action ont explosé et on peut voir aujourd'hui des pièces sans histoire, ne prenant place nulle part ou partout.


Et Balancez Mes Cendres Sur Mickey fait partie de ce genre de pièces.
Rodrigo Garcia, écrivain et dramaturge, est un utilisateur de l'écriture de plateau. L'écriture de plateau est un mouvement théâtral contemporain qui déconstruit le personnage, le dialogue, l’acteur même. Comme le définit Bruno Tackels, c'est une écriture qui s'appuie sur la question du réel, du temps, des comédiens, de la lumière et du son. Pour Tackels, « l'écrivain de plateau » n'est assimilable à aucune doctrine ni dogme. D’autres auteurs importants en font partie comme Joel Pommerat, Valère Novarina ou Roméo Castellucci et participent à cette crise entre convention et libération que vit le théâtre.
Avec Et Balancez Mes Cendres Sur Mickey, Rodrigo Garcia n'en est pas à son premier coup d’essai. Provocateur, Garcia était en pleine polémique en France en 2011 avec Golgota picnic. Dans cette pièce, le personnage de Jésus Christ était mis en scène, ce qui n'avait pas été apprécié par un certain nombre de Chrétiens (la plupart n’ayant pas vu la pièce !)
Mais avec Et Balancez Mes Cendres Sur Mickey, Garcia s'attaque à la société de consommation avec une violence extrême, violence avec laquelle il était rentré dans la polémique de 2011.
Du théâtre ? Oui mais performatif.
Il y a dans ce spectacle ni histoire, ni personnage. Ce que l’on voit est composé de plusieurs scènes avec du texte déclamé ou non déclamé par des comédiens se mettant à faire des scènes n’ayant souvent (en tout cas en apparence) aucun lien les unes avec les autres et avec le texte. De la forme au propos, Rodrigo Garcia est là pour nous bousculer.
Avec un tel spectacle nos habitudes de spectateur sont bouleversées car on ne sait pas réellement ce que l’on voit.

De la scène de tonsure d’une femme aux plongeons des comédiens dans la boue, en passant par une scène de noyade de souris, tout est violent, jusqu’au texte qui défile derrière les comédiens se moquant de nous (la première scène nous parle des achats inutiles utilisés pour remplir le vide dans lequel notre existence s’est enfermée).
Voir pendant près de 1h30 une critique puissante de nos modes de vies consuméristes avec un texte et des scènes violentes n’est pas quelque chose d’aisé et on peut facilement se sentir choquer.
« J’entrais dans un bar et je me disais à moi-même :
Ici commence une nouvelle vie. Faut y aller Franco. Tu regardes les gens, tu t’attardes sur les visages, table par table, tu choisis une personne, tu t’approches d’elle et tu lui proposes une nouvelle vie à deux.
Puis tu quittes le bar en compagnie de cette personne et tu la baises sans capote pour avoir des gosses, et si la personne que tu choisis est du même sexe que toi, tu la baises sans capote mais tu téléphones en Russie ou en Amérique Latine pour commander un gosse et te le faire envoyer par DHL. Et c’est une nouvelle vie qui commence. »
(Et Balancez mes cendres sur Mickey, extrait texte)


Rodrigo Garcia est un artiste qui propose des scènes comme des œuvres picturales. Les scènes sont longues, le texte est soit déclamé au micro que les comédiens portent sur eux (jamais interprété) soit juste diffusé sur un écran, ce qui renforce le côté pictural. Cela laisse au spectateur le temps (plus que nécessaire !) pour comprendre ce que le metteur en scène veut nous dire.
D’ailleurs, le fait que le théâtre de Rodrigo Garcia soit très statique et qu’il critique à la fois la société de consommation me rappelle les œuvres de Duane Hanson ( on peut trouvé d'ailleurs des ressemblances entre Super Market Lady et la vision proposé par Garcia dans cette pièce).
Rajouter à cela des comédiens ne parlant que très rarement ou parlant sous des chaines qui s’enflamment montrant alors une espèce humaine devenue esclave d’un système qui s’autodétruit.
Mais Garcia ne propose pas que des images mais un texte. Un texte qui peut être d’ailleurs lu à part car il y a en même temps beaucoup et aucun rapport avec les scènes.


Tout d’abord, il a un rapport car aussi bien le texte que la pièce nous parle de la société de consommation mais si le sujet reste le même, le texte s’autorise d’être un long poème en prose où le lyrisme est cynique. Chaque figure de style rappelle aux spectateurs dans quoi il vit : une société de consommation où tout est à vendre et où l’amour et la culture sont définitivement enterrés. La scène répond alors symboliquement au texte. Par exemple la scène où les personnages sont enduits de miel et recouverts de pain de mie (de véritables « Hommes sandwich ») devenant ainsi des œuvres d’art de la société de consommation, est mis en parallèle avec un texte de Rodrigo Garcia qui nous dit que tout se confond dans ce besoin de consommer :
La culture, l’amour, le désir... Dans le texte, on nous parle de magasin de jardinage ressemblant à un restaurant japonais, un restaurant japonais se confondant à un magasin de téléphone de luxe et ainsi de suite...Ce qui par la suite mène à des scènes plus crues et choquantes qui montrent que vu que tout se ressemble, on ne sait plus comment apprendre ou aimer.
Sur scène cela est montré par l’acte sexuel raté entre deux personnages avec des t-shirts de philosophes (Montaigne et Voltaire) soit symboliquement la culture, l’intelligence qui ne peuvent plus se transmettre (la tête essayant de rentrer de force dans le vagin mais qui n’y arrive pas).

Le message de Rodrigo Garcia, même s’il est largement interprétable reste néanmoins clair : la société de consommation nous rend captif d’un environnement dans lequel on ne peut plus être nous-même. Notre culture est maintenant uniformisée et la ressemblance obligatoire entre les êtres humains nous entraine tous vers un « génocide » de notre humanité comme le sous-entend la scène de la tonsure de la femme aux cheveux longs (rappelant les pires heures de notre histoire). Nous sommes soumis à être tous pareils.
Derrière cette critique de la société de consommation, est dissimulé une sorte de message méta: ce que vous venez de voir est du théâtre.
Et balancez mes cendres sur Mickey nous parle d’un monde qui va à sa perte mais aussi du théâtre qui par ses conventions, ses lois, ne permet plus une totale liberté créative. C'est avec la performance que le théâtre est bouleversé car on peut ainsi quitter les pseudos théories dogmatique que s'imposent le théâtre ( le quatrième mur, le personnage, le lieu, l'intrigue). Même si l’image d’un théâtre plus conventionnel reste encore dans les têtes, c’est avec ce genre d’artistes aux esthétiques fortes, ces écrivains de plateau, que nous , nouvelle génération, pouvons-nous débarrasser de nos préjugés théâtraux et dire : «  c'est aussi ça le théâtre ! »

smegmatthieu
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le 24 janv. 2016

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smegmatthieu

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