Everfair
Everfair

livre de Nisi Shawl (2016)

Afrosteampunk, un peu lent au début, mais très bien

Quand j’ai lu l’article de BoingBoing qui parlait du roman de Nisi Shawl, Everfair, j’ai tout de suite tilté sur les termes “steampunk”, “Afrique”, “socialistes”. Dans ce premier roman – l’autrice a écrit nombre de nouvelles, mais également un essai sur la diversité dans les littératures de l’imaginaire – il y a tout cela, et plus encore.


À la base, il y a un des contextes les plus tragiques de la fin du XIXe siècle: le Congo belge, propriété exclusive du roi Léopold II et terrain de jeu (de massacre) de colons sans scrupules et de mercenaires sadiques. Je n’exagère pas.


Dans cette Afrique en proie aux massacres les plus sordides dans l’indifférence quasi-générale, Nisi Shawl pose l’idée qu’un groupe de la Société fabienne, horrifié par les exactions belges, rachète une partie du Congo dans l’idée d’y fonder une nation idéale (avec l’argent qui, dans notre monde, créera la London School of Economics).


L’histoire suit alors les fondateurs de cette nation, baptisée Everfair, les esclaves en fuite qu’ils hébergent, l’aristocratie africaine locale, des émigrants afro-américains et des marchands asiatiques, pendant une vingtaine d’années qui seront tout, sauf un long fleuve tranquille.


Il y a plusieurs points très intéressants et originaux dans Everfair. D’abord, c’est une utopie qui se déroule en Afrique, ce qui est plutôt rare. Ensuite, c’est du steampunk qui met plus l’accent sur le “punk”, la plupart des personnages sont à la marge de la bonne société victorienne: beaucoup ne sont pas d’origine européenne, des parias voire des esclaves.


Il y a de la technologie avancée, certes, mais a minima: moteurs à vapeur, dirigeables, mécanismes d’horlogerie, prothèses-armes pour remplacer les membres amputés par les mercenaires. Les gadgets les plus extrêmes sont des moteurs qui fonctionnent au yellow cake (de l’uranium, en gros) – ce qui n’est pas sans poser des problèmes de santé – mais c’est loin d’être une technologie-miracle non plus.


Enfin, c’est surtout une utopie qui pose plein de questions rarement abordées. Notamment sur la question du vivre-ensemble, sur l’euro-centrisme et sur le fait que, parfois, des gens prennent des mauvaises décisions pour de très bonnes raisons. Ainsi, la dernière partie du bouquin voit s’affronter les grands principes des fondateurs, européens et américains, et le roi africain de la région, qui se sent comme un étranger dans son propre pays.


Une grande partie des rôles principaux d’Everfair sont tenus par des personnages féminins: Daisy Albin, la poétesse, inspiratrice de l’idée même d’Everfair, son amie et amante Lisette Toutournier, métis, espionne et diplomate (qui semble être l’alter-ego de l’auteur), Josina, l’épouse favorite du roi Mwenda, et bien d’autres.


L’ouvrage n’est pas sans défaut. Celui qui m’agace le plus est sans doute les textes en français blindés de faute, mais il y a également des éléments qui ne paraissent pas complètement à leur place, comme les quelques touches de fantastique et de magie. Ce n’est pas très gênant, puisque, comme la technologie steampunk, ça reste des éléments de second plan.


J’avoue cependant avoir eu un peu plus de mal avec le style d’écriture très suranné qu’emploie Nisi Shawl, ainsi qu’avec le rythme. Les premiers chapitres traînent un peu en longueur; je suppose que ce n’était pas non plus une bonne idée de le lire avant d’aller dormir. L’action s’accélère une fois qu’Everfair est fondée.


Dans l’ensemble, Everfair est un excellent roman, surtout dans un genre steampunk qui peine à se renouveler. On pourrait presque en faire un supplément pour Castle Falkenstein ou une origin-story plus crédible pour un Wakanda alternatif.

SGallay
8
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le 22 mai 2018

Critique lue 29 fois

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