Je vais beaucoup user de la première personne : je ne cherche pas à fasciner par une écriture impersonnelle prétendument objective. C'était la première fois que je lisais Olivier Rolin, et c'est peut-être une erreur d'avoir commencé par ce livre ; je ne sais pas qui est l'auteur et je n'arrive pas dans le livre avec un intérêt particulier pour son personnage. Le fait est que plus rien, après un peu plus de la moitié du livre à laquelle je suis arrivé en luttant, ne m'intime de continuer ma lecture.
En lisant le titre, sachant qu'il s'agit d'une autobiographie, je m'attends à un livre plus ou moins linéaire au langage transparent qui me parlerait, effectivement, du monde. L'ambition du livre est annoncée : faire un "portrait de l'artiste en globe terrestre", avec cette image de l'auteur comme vide central d'un vase aux pièces recollées (je cite de mémoire). Je pense à Giono (pas à Gary ni à Sartre) lorsqu'il évoque son enfance dans *Jean le Bleu* avec si peu de narcissisme, y compris lorsqu'il parle de lui et de ce qui le traversait. Et les premières pages donnent envie : l'entrée en scène est classique, mais c'est un beau cheval, qui donne envie de le suivre ; l'envie se soutient dans le rythme de la prose et dans quelques évocations d'animaux (ici un ours, là un cachalot -- les rapports des auteurs avec le sauvage semblent toujours parlants).
Avec l'accumulation des pages se dessine le personnage de l'écrivain, qui n'a rien d'un vide central mais d'une corne d'abondance de lui-même, ce qui met en péril le projet annoncé. Le narcissisme est omniprésent, comparé à ce Giono surplombant qui, sans prétendre à rien, s'en dépouille instinctivement pour nous dépeindre d'une façon singulière et mémorable les personnages de sa vie. Au narcissisme rien n'a fait contrepoids, malheureusement : l'auteur oublie les noms des gens qu'il a connu et leurs visages, et ceux qui sont évoqués tombent dans l'oubli aussitôt ; les descriptions des différents lieux, qui pourtant m'intéresseraient, ne me laissent aucune impression non plus, tout comme cette écriture du désir censé affleurer à l'évocation de certaines femmes et qui ne me mettent que face à un vieux dégueulasse qui n'a rien d'un Bukowski, pour ce qui concerne l'évocation charnelle. Le coup de grâce a été pour moi ce subterfuge aussi subtil qu'une épreuve d'invention pauvrement exécutée par un lycéen sans intérêt pour l'écriture, celui de substituer parfois le "tu" au "je".
Il semble effectivement que Rolin ait bien bourlingué à travers la vie comme à travers la mort et, lorsqu'il parvient à s'oublier, je pourrais le laisser m'emporter avec lui à l'extérieur, dans le monde (même pour un divertissement sans suite), mais je le laisse volontiers finir ses aventures et ses digressions dans ce livre sans moi. Merci quand même, sans rancune, et bon vent !