Paru au tout début de l’année (disponible dans les bacs depuis le 15 janvier dernier) un ouvrage, que l’on pourrait qualifier de délicieusement singulier, s’est fait une petite place sur les tables des bonnes librairies et sur internet.
Il n’en est pas moins intrigant, puisque ce livre traite du « fist-fucking » (avec ou sans tiret, complet ou raccourci seulement en « fist »), la seule « innovation au répertoire des pratiques sexuelles » du XX° siècle. Pour les néophytes, il s’agit d’exciter sexuellement son partenaire par l’insertion du poing dans son anus ou son vagin.
L’auteur, par une posture bien singulière, analyse l’histoire, les prémices, les pratiques, les fantasmes… qu’a pu entraîner cette pratique dont, avec le texte, on peine à croire qu’elle ne soit véritablement apparue qu’au début des années 1900, outre-Atlantique.
Mais il ne faut pas s’y tromper, si ce texte est un véritable ouvrage qui contribue à la recherche sociologique en cours, et, s’il nous informe, par le petit bout de la lorgnette, des pratiques de notre société, il ne tombe pas des mains. En effet le texte réussi le pari paradoxal de nous faire pénétrer au plus profond de nous-même (entendez ce terme littéralement) avec une grande fraîcheur, une grande aisance… Pour reprendre une idée de l’ouvrage, Fist est sans brutalité, il séduit son lecteur et le fait passer outre l’image rebutante que cette pratique sexuelle peut encore avoir.
Exploit réussi pour différentes raisons. Tout d’abord parce que Fist ne tombe jamais dans le trash, mais nous mène dans le concret. Ne pensez pas y trouver les descriptions à vif du divin Marquis, où la complaisance scatologique d’Hervé Guibert. Marco Vidal (pseudonyme de l’auteur) nous interpelle, nous décrit patiemment ce qu’est le fist ; comment il se pratique et doit se pratiquer ; comment, dans l’histoire de la sexualité, on peut trouver quelques prémices à ce poing triomphant du plaisir. Pour autant, le texte n’élude pas les questions pratiques, dérangeantes même… mais y trouve des réponses aux accents parfois comiques : « J’ai le cul aussi propre que la figure » (p. 35) peut-on lire dans une interview déjà datée que reprend l’ouvrage. A bas la pudeur donc, il s’agit de plaisir, alors nommons un chat un chat.
C’est aussi la forme du livre qui lui donne sa légèreté (au sens mélioratif de ce terme). Découpé en 24 entrées thématiques, comme l’Odyssée (découpée en 24 chants) Fist est un voyage dans l’insondable du désir. L’auteur nous fait passer de l’image fausse de la pornographie, à la douceur lubrifiante d’un couple (homme-homme, femme-femme, femme-homme), puis de la salle du proctologue à la table de travail du chercheur. Un véritable voyage vous dis-je !
Chaque partie est elle-même subdivisée en paragraphes que l’on pourrait rapprocher de l’essai. En effet la forme n’est pas sans nous rappeler l’écriture de Montaigne (à saut et à gambades), retravaillée ensuite dans des auteurs plus proches de nous (Barthes avec son Roland Barthes par Roland Barthes, Les Fragments du discours amoureux et bien d’autres). On passe donc de considérations physiologiques et médicales, à des considérations littéraires (vous retrouverez tout de même Sade, mais aussi Koltès, Ronsard, Juvénal…) ; la philosophie et les sciences humaines viennent joyeusement travailler le texte (et l’on ne fera pas le bête procès d’intention d’une érudition pédante, ce n’est jamais le cas) ; on finit enfin par une très belle lecture comparative des traductions du Cantique des Cantiques qui retrace un lien connu entre sexualité et mystique religieuse.
Fist est une bibliothèque éclectique où prend forme un véritable travail d’écriture. Au-delà des références, on y trouve aussi des très beaux poèmes en prose. Les chapitres « Jonas » et « Coup de poings » sont des seuils à un vrai monde poétique. On quitte le travail de recherche pour quelque chose qui se rapproche beaucoup plus d’un jeu, thème et variations, oniriques ou réels, autour du fist.
L’auteur y entretient aussi le fantasme. La trame narrative de certains extraits questionne le lecteur : est-ce autobiographique ?! l’auteur parle-t-il en connaissance de cause ?! L’ouvrage, par différents moyens, dans ses agréables circonvolutions, nous attrape dans un plaisir curieux.
Connaisseurs ou néophytes, pratiquants ou non, curieux… par son écriture agile, sensible et poétique Fist est un ouvrage qui peut trouver une belle place dans votre bibliothèque. Posez-le à côté de Quignard, White, Homère ou Catulle, la proximité en sera toujours heureuse.
Un seul point seulement pourrait entacher si ce n’est l’ouvrage, du moins l’image qu'il renvoie de notre société. L’auteur « professeur de philosophie, écrivain, critique, a choisi le pseudonyme de Marco Vidal pour affronter plus librement le public » nous dit la quatrième de couverture. Moins qu’un acte de couardise, ce masque, que décide de prendre l’auteur, traduit encore l’état de notre société : d’une hypocrisie aussi faussement pudique qu’incroyable. Après les travaux de Foucault sur la sexualité, la publication en Pléiade de Sade (pour ne prendre que des exemples très parlant dans le monde des livres), et alors même que nous vivons dans une société où la nudité (pornographique) est utilisé par les médias et la publicité, un essai aussi brillant que ce dernier sur une pratique sexuelle contemporaine n’aurait pas la pertinence et l’autorité nécessaire pour accueillir le véritable nom de son auteur ?! Cela reste encore ce qu’il y a de plus dommageable pour les sages lecteurs de cet ouvrage, qui redore l’image (triomphante) du désir.