Nombreuses sont les personnes à connaître le visage de Lina Cavalieri, décliné et métamorphosé à l'envi sur une profusion d'objets. Les boutiques de design et de décoration en regorgeaient il y a encore dix ou quinze ans, et en vendent toujours régulièrement. Peu nombreux, en revanche, sont ceux qui peuvent associer le nom de leur créateur auxdits objets. C'est que Fornasetti, designer italien né en 1913 et mort en 1988, reste finalement méconnu. Et la littérature qui lui est consacrée se fait rare, du moins en français. Le musée des arts décoratifs de Paris lui ayant consacré récemment une très belle exposition, l'occasion était donc idéale pour se plonger dans une monographie du prolifique et insaisissable Piero Fornasetti. Et pourtant, la lecture de cet imposant ouvrage, qui a l'avantage de présenter beaucoup de photographies des objets créés et édités par Fornasetti, m'a laissée sur ma faim.


Après un prologue et une introduction aux styles un rien pompeux, et donc peu engageants, le livre s'attache à étudier le parcours du designer via une approche thématique, parfaitement cohérente puisque Fornasetti a puisé toute sa vie durant dans un répertoire formel concentré sur quelques motifs ou thèmes essentiels : les livres, l'art de Pompéi, les mains, le soleil, notamment, et bien entendu ce fameux visage lunaire pour lequel il est avant tout connu. Apparaissent aussi clairement son rapport à l'architecture et à la peinture métaphysique, deux thèmes particulièrement intéressants, mais qui gagneraient, il me semble, à être explorés davantage. Et si l'on comprend à quel point l'activité débordante de Fornasetti et le foisonnement d’objets créés sont liés à une passion de la collection, mais aussi de l'archivage, il est dommage que la question de la série (au sens warholien), à laquelle je sais que Patrick Mauriès s'intéresse beaucoup, ne soit pas non plus tellement creusée. La preuve en est - et c'est très étonnant - le peu de développement consacré à "Thème et variations", cette déclinaison presque infinie du visage de Lina Cavalieri sur assiettes ou objets divers à laquelle je faisais déjà allusion plus haut et qui constitue, à mon sens, la part la plus énigmatique de la production de Fornasetti. Est-ce que Patrick Mauriès a volontairement refusé de s'appesantir sur des œuvres qui ont tellement attiré l’œil du public qu'elles en ont oblitéré tout le reste ? Certes, le livre révèle pour la toute première fois (nous dit l'auteur) l'identité de la femme qui apparaît sur tant d’objets et qui a tant fait glosé, mais est-ce suffisant ? Certes, Fornasetti lui-même se contentait de répondre en entretien à Shara Wasserman qu'il ignorait pourquoi il avait développé une obsession pour ce visage de femme. Pour autant, il eût été intéressant d'approfondir le sujet. Mais peut-être est-il préférable que "Thème et variations" ne conserve l'essentiel de son mystère...


Il est aussi utile de savoir, avant d'ouvrir "Fornasseti : designer de la fantaisie", qu'il y est beaucoup fait référence au contexte artistique italien, qu'il s'agisse des arts plastiques ou plus spécifiquement des arts décoratifs. J'avoue qu'à part Giorgio Di Chirico et Leonor Fini, je ne connaissais pas les noms cités : même pas celui de Gio Ponti, visiblement célèbre et qui fut un important partenaire de Fornasetti. Ces lacunes m'ont un peu gênée dans la compréhension de l'ouvrage : mais je n'en fais surtout pas grief à l'auteur, car c'est ici mon ignorance qui est en cause. Enfin, gros point faible du livre : beaucoup de photographies sont en noir et blanc. Or, si cela peut convenir à une partie de la production de Fornasetti, comme les assiettes de "Thème et variations", éditées elles-mêmes en noir et blanc, c'est surtout dommageable pour rendre compte de l'univers souvent très coloré du designer - et c'est peu dire, tant les rouges et les verts sont, chez lui, francs et tranchants. Pour autant, l'ouvrage présente l'avantage considérable de faire enfin découvrir le travail de Piero Fornasetti dans son ensemble, ce qui est déjà appréciable.

Cthulie-la-Mignonne
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le 20 juil. 2015

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