Pas tant une critique du livre que de la traduction, en l'occurrence, et pour nuancer, je dois préciser que la barre était certes très très haute, aussi bien en parlant de la VO de ce livre qu'en regardant certaines autres traductions magistrales.
Pour l'histoire, le résumé de la quatrième de couverture est assez bien vu, et à la limite j'hésite à en dire bien plus par peur de spoiler (croyez-moi, ça serait dommage).
J'avais d'abord lu ce livre en anglais, enchaîné avec tout ce que j'ai pu trouver de l'auteur par la suite, et il fait partie de ceux dont j'achète les nouveautés le jour de leur sortie en me réjouissant d'avoir un nouveau Harkaway à me mettre sous la dent (et puis plus tard je les relis en me délectant toujours autant de la maîtrise du récit, que ce soit pour le stylisme --éblouissant-- ou pour les trouvailles de l'intrigue --époustouflantes).
Je mets toujours 10 / coup de cœur pour la VO, mais là je viens de lire la VF pour la première fois et je suis forcée de mettre -2 (note à chaud qui pourra peut-être baisser encore avec un peu de recul) rien que pour la traduction. Encore, je suis gentille, et indulgente, parce que je sais que ce texte en VO est coriace ; mais quand même, traduire, c'est un métier, merde.
Dans la traduction publiée chez Robert Laffont, ça reste une belle aventure avec quelques twists à donner le tournis (à porter entièrement au crédit de l'auteur), mais même en admettant qu'une traduction perdra forcément un peu de la subtilité originelle en cours de route, la VF ici est bâclée au point de dénaturer des pans entiers de l'histoire. Quand je compare avec le travail fait par Serge Quadruppani pour les livres de Camilleri, celui de Patrick Couton pour Terry Pratchett, ou bien les traductions des livres de Claire North, c'est juste affligeant.
Déjà rien qu'au titre ("The Gone-Away World" en anglais), inadéquat et simpliste, j'aurais dû me méfier. Mais alors le texte... pas assez uniformément mauvais pour me donner envie de lâcher ma lecture en cours, mais trop souvent maladroit voire complètement à côté de la plaque pour que j'y prenne vraiment plaisir. Je veux bien que le livre soit complexe, mais de là à faire des contresens flagrants* ou passer totalement à coté du véritable sens d'un passage ou même de toute une dimension du récit**... il y a de la marge quand même.
Bref, je m'étais fait une joie de découvrir la version française de ce livre, seul titre traduit à ce jour d'un de mes auteurs préférés, avec aussi en perspective la possibilité de le faire découvrir à tous mes amis... à chaud tout de suite là, je suppose que je le conseille quand même parce que malgré tout ça reste une chouette histoire, mais quand je pense au chef d'oeuvre qu'est la VO, je suis juste dégoûtée.
Seule consolation, et elle est maigre, je n'ai pas raqué de ma poche pour celui-ci, car j'ai emprunté le livre à la bibliothèque (merci le PNB).
Mon conseil : si vous n'avais jamais rien lu de Harkaway et que la lecture en anglais vous est impossible, alors allez-y avec la VF quand même car vous risquez malgré tout de passer un bon moment, ne sachant pas ce que vous ratez. D'ailleurs je suis assez d'accord avec la critique de Julie Georg ci-dessus (et ça me fait plaisir de voir que je ne suis pas la seule en France à (re)connaître le génie de Harkaway). Mais si vous pouvez le lire en VO, même avec un peu d'effort, franchement jetez-vous dessus.
Quant à moi, j'attendrai (difficilement) la sortie de son prochain livre en chérissant l'espoir qu'il sera traduit par un traducteur un peu plus rodé, plus fin, et maîtrisant quand même l'anglais un minimum.
*un exemple parmi tant, tant d'autres : "sneakernet" --soit le partage de fichiers sans l'intermédiaire d'un réseau informatique, par exemple via des clés usb échangées en mains propres, de "sneaker", "basket" (la chaussure) parce qu'on les transporte physiquement, à pied, et qui, en passant, est une expression connue et qui existe depuis des décennies quand même-- traduit par "Mouchardnet" -- sans doute de "sneak" : "cafteur", "mouchard" ou "sournois", bien que j'aie mis un moment à le comprendre quand j'ai buté dessus... Quelques mots plus tôt dans la même phrase, "racy" (= olé olé...) est traduit par "raciste". heu... comment dire...
** la claque subtile et bien méritée administrée au gratte-papier primaire pour ses a priori sexistes transformée en bouderie puérile de nos héros face à l'autorité ; par extension, et à répétition, l'un des personnages féminins principaux édulcoré et affaibli pour coller au schéma classique du rapport des sexes justement démonté avec élégance dans la VO...