Henri Grivois fut un psychiatre proche de l'anti-psychiatrie. Il fut l'un des premier à s'essayer à écouter ceux que dans sa discipline on nomme "psychotiques", dans les premiers moments de montée de la psychose, là où ses contemporains préconisaient simplement d'attendre qu'un discours plus normé (et donc parfaitement délirant) se fasse entendre.
Ce très vivant opus témoigne à la fois d'une carrière profondément ancrée dans la volonté de venir en aide au fou, plutôt que de le normaliser, et, ce faisant, nous livre témoignage de ce qu'est la psychose in statu nascendi, avant que le dit "fou" ne produise, sous la pression de la société et du psychiatre même, le discours délirant du psychotique. Mais ce dernier n'est, selon Grivois, qu'une rationalisation d'une expérience de "concernement universel" qui, pour n'être balisée ni dans l'expérience commune, ni, partant, dans le langage ordinaire, ne peut dans un premier temps être porté à la parole. D'où que le "psychotique" naissant soit le plus souvent mutique : il est persuadé, à juste titre, que ce qu'il pourrait dire ne peut être cru.
Je ne puis m'empêcher de rapprocher les descriptions très évocatrices qu'en fait Grivois d'expériences d'"éveil" spontané, plus ou moins aboutis, plus ou moins encombrées des contraintes internes propres à ceux qui les expérimentent. L'homologie en est forte avec ce qu'on lit dans des littératures plus "spirituelles", voire "mystiques". C'est d'autant plus frappant que l'auteur n'emprunte pas ces voies d'explication-là, dont il n'a probablement pas connaissance précise.
Mais peu importe : le livre est écrit de façon alerte, nous délivre une tranche de psychiatrie française, évoque un certain nombre de cas, heureux ou malheureux, et est de part en part emprunt d'une très grande et touchante attention à l'humain. Intéressant à lire, à mon sens, si l'on s'intéresse à ces sujets.