« Héliopolis » est, avec « Sur les falaises de marbre » et « Le traité du rebelle », mon œuvre favorite de Jünger. J’ai lu cette œuvre à maintes reprises. Cependant, avec l’âge, je m’attarde beaucoup moins sur le récit pour saisir l’essentiel du message fondamental adressé par l’auteur.
Je ne ferai pas le résumé de la narration. En revanche il m’importe d’exprimer ici l’essence du message de Jünger.
Le héros, Lucius, est un guerrier - non un soldat - issu d’une longue lignée aristocratique. Il est l’héritier et le dépositaire de valeurs qui ne sont plus d’actualité. Il comprend au fil du récit que sa caste n’a plus aucun avenir dans le jeu politique. Les références et le langage ne sont plus les mêmes. Les valeurs qui sont les siennes, l’honneur, la fidélité, la bravoure, la beauté n’y ont plus cour. Le monde a changé. D’autres valeurs, fondées sur une vision matérialiste, utilitariste, arriviste et techniciste du monde, le gouvernent. C’est le monde de la bourgeoisie, celui qui conduisit de nombreux guerriers à s’entre tuer pour servir des valeurs qui n’étaient pas les leurs durant les deux guerres mondiales.
Bien qu’il continue à y jouer un rôle, Lucius est en rupture avec ce monde. Il est confronté à des contradictions et son esprit rebelle – rebelle car sincère et authentique - le conduit à ne pas respecter les ordres. Il prend ainsi des initiatives en rupture avec sa hiérarchie et de fait écarté des affaires dans un monde dans lequel il ne peut être à sa place. La rencontre avec Boudour Péri (une Parsi, donc une orientale) va lui ouvrir d’autres portes, d’autres perspectives. Cette ouverture se réalise à travers la prise de stupéfiants et l’amour. Elle le conduit inévitablement vers une dimension spirituelle, non mentale, non rationnelle, où prédomine l’intuition et l’irrationnel.
Cette œuvre, au même titre que « Sur les falaises de marbre » est une allégorie du monde dans lequel vivait Jünger, monde partagé entre deux pôles (les deux blocs), monde dans lequel les valeurs de la seconde fonction n’avaient plus cour. Jünger, dans son for intérieur, l’avait profondément compris et tendit tout au long de sa fin de vie à intégrer les valeurs de la première fonction.
« Héliopolis » est aussi une allégorie du monde actuel, une monde frappé par la délinquance, la barbarie et la dégénérescence. Un monde de calcul et d’intérêts bassement matérialistes dont on ne peut échapper qu’en le fuyant à travers soit les stupéfiants, soit en s’élevant spirituellement car en définitive tout n’est que le jeu de la Maya. C’est ce que fait Lucius en embarquant sur le « Nouveau colomb ».
En ce monde qui s’écroule, tiré irrémédiablement vers les abîmes, la voie spirituelle est le seul recourt. Elle est une voie d’amour (Bourdour Péri) et de sagesse (ici grâce aux stupéfiants qui ouvrent l’esprit). C’est le message fondamental que Jünger transmet à travers cette œuvre.
Loin d’être un roman de science-fiction, « Héliopolis » est donc avant tout un guide pour tous ceux qui veulent se positionner intérieurement dans le monde actuel. C’est un livre pour les rebelles, ceux qui luttent corps et âmes pour ne pas sombrer dans la chute de notre civilisation, pour ceux qui veulent préserver et transmettre les valeurs qui éveillent et fondent. Un livre à lire et à relire.