Histoire et mémoires, conflits et alliance par DuarteLaurent
Pionnier de l’histoire orale en France et spécialiste de la révolte des camisards, Philippe Joutard, publie un ouvrage de référence sur les liens entre histoire et mémoires. La poussée mémorielle qui prend forme au cours des années 1970 a fait l’objet de travaux incontournables en histoire (Pierre Nora et François Hartog) et en philosophie (Paul Ricœur et Maurice Halbwachs). L’objectif du livre ne consiste pas à discuter ces propositions analytiques canoniques, mais plutôt à étayer la réflexion sur l’imbrication de la pratique historique et de la mémoire. Le moment mémoriel prend racine d’abord dans la fin des mythes marxiste et libéral, c’est-à-dire dans le passage d’un régime d’historicité (où l’avenir donnait sa signification à l’histoire) au présentisme actuel. Sur la longue durée, le phénomène a pour pères les intellectuels engagés dans les entreprises européennes de construction nationale (Michelet, Goethe, Herder, Sand). Il puise aussi dans l’héritage des « sociétés-mémoires » (Huguenots, communauté juive…) qui ont préservé une mémoire collective, véritable socle identitaire. La mémoire est associée à l’histoire dans la formation du roman national (exemples français et américain choisis) et d’un récit destiné à expliquer aux citoyens l’existence de la nation. Entre en scène l’État qui, par touches successives, popularise un roman national et rapproche la pratique individuelle de la mémoire et l’histoire officielle. Dans un chapitre intitulé « L’empire de la mémoire », P. Joutard montre à quel point l’actualité regorge d’exemples de construction d’un passé fantasmé et de mémorialisation imminente de certains faits historiques. La mise en garde sert de fondement à sa conclusion : le régime d’historicité du présentisme peut conduire à une volonté d’uniformisation du passé. Défendant l’usage de l’histoire orale, il propose enfin un tour d’horizon à l’échelle mondiale et rappelle l’état de la recherche dans ce domaine particulier. Cette partie du livre permet, certes, de souligner la réponse historiographique à la poussée mémorielle, mais risque d’éloigner du sujet un lecteur moins familiarisé à la question.