La damnation de Franz Fanon
"La colonisation est toujours un phénomène violent".
C'est ainsi que Franz Fanon, psychiatre d'origine martiniquaise en poste à Alger, conclut le premier paragraphe de son livre Les Damnés de la Terre.
L'ensemble de l'ouvrage découle ensuite de cette phrase et du premier chapitre intitulé « De la Violence ». La colonisation a été violente, toujours représentée par des autorités sanguinaires, alors la seule solution pour réussir à s'émanciper est d'utiliser la violence en retour. La violence n'est qu'une réponse à une autre, le colonisé est la création du colonisateur, la décolonisation par les armes est le fruit du gendarme qui « porte la violence dans les maison et le cerveaux des colonisés ».
En tant que psychiatre, Franz Fanon insiste énormément sur les séquelles collectives, la violence intériorisée qui n'attend que de sortir et qui se matérialise chez lui par une plume directe, très ponctuée et un vocabulaire des plus clairs :
« Je ne me trouble plus en sa présence. Pratiquement, je l'emmerde ».
Les Damnés de la Terre est un ouvrage essentiel pour comprendre les fondements des révoltes coloniales et les vestiges de la colonisation dans les pays dits post-coloniaux ou du Sud. Il a nourri des courants de pensée comme les Black Panthers ou le MPLA en Angola qui voulaient démontrer que le colonialisme, l'esclavage, la présence européenne n'étaient pas fondés sur la raison mais sur la violence et qu'en face il fallait lever le poing, s'organiser en milice, que:
« Le colonialisme n'est pas une machine à penser, n'est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l'état de nature et ne peut s'incliner que devant plus grande violence. »
Critique de la non-violence, qu'il voit comme complaisance envers l'ennemi, Franz Fanon ouvre des pistes de réflexion sur le néo-colonialisme et la persistance d'une violence déguisée mais qui touche essentiellement la catégorie de l'indigène, l'ancien colonisé. Il sera à ce titre repris par des intellectuels – politiques de la décolonisation comme N'Krumah ( président du Ghana de 1960 à 1966 et qui théorisa le néocolonialisme dans ses écrits) mais surtout par Aimé Césaire qui dira de Fanon dans le poème Par tous mots Guerrier-silex :
« …et l’accueil et l’éveil de chacun de nos maux/je t’énonce/ FANON/tu rayes le fer/ tu rayes le barreau des prisons/ tu rayes le regard des bourreaux/guerrier-silex/ vomi par la gueule du serpent de la mangrove »
Franz Fanon utilise d'ailleurs, un passage des Armes Miraculeuses de Césaire pour décrire le statut du jeune colonisé :
« Mon nom : offensé ; mon prénon: humilié; mon état : révolté; mon âge : l'âge de pierre »
Les Damnés de la terre , comme son nom l'indique, est un manuel pour tous les opprimés de la terre, ceux qui meurent sous les coups répétés des dominants et qui cherche à « faire craquer leur chaîne.. » et « l'extraordinaire c'est qu'ils réussissent » ajoute juste après le penseur martiniquais. Car comme J.P.Sartre qui écrivit la préface à l'édition de 1961, Fanon est de cette génération qui croit à la révolution et à un autre modèle, et y croire jusqu'à s'engager aux côtés du FLN, pour mourir quelques mois avant l'indépendance, à seulement 36 ans.
Et c'est en ce rôle de piqûre de rappel que le livre prend tout son sens aujourd'hui. Il nous montre comme est louable la position de l'intellectuel réellement engagé et comme est encore présente la dialectique de l'oppresseur/opprimé au sein de nos sociétés.
Cet ouvrage est aussi le meilleur moyen de bousculer les barrières cognitives qui nous empêchent de penser plus loin, autrement, un autre modèle de société. Fanon le disait lui-même en conclusion :
"Pour l'Europe, pour nous-mêmes et pour l'humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf ".