A travers la plume de Frantz Fanon, cet ouvrage parcourt le colonialisme et l'anticolonialisme à travers un regard à la fois historique, philosophique et psychiatrique. La psychiatrie étant la spécialité de l'auteur, elle est omniprésente dans le l'ouvrage et ouvre un regard nouveau et éclairant sur les dynamiques de la colonisation. Le peuple y est traité comme un patient en psychiatrie, puis est décortiqué en sous-catégories; pour tenter d'expliquer ses dynamiques internes face aux mouvements exogènes qui pèsent sur lui. C'est autant un ouvrage psychiatrique que politique, qui se fait véritable cri d'appel sur l'état et le devenir des pays colonisés. Si certains passages ont été engloutis par l'Histoire, on ne peut qu'admirer la pertinence du propos au regard de ce qui adviendra des pays décolonisés. Preuve supplémentaire, s'il le fallait, que comprendre les dynamiques psychologies et sociologiques d'un évènement donne l'éclairage le plus net des évènements. Lorsqu'il fait corps dans une construction nationale, un peuple se construit comme un patient malade, avec ses traumatismes et ses névroses, qui parviennent à traverser les générations et laisser leur emprunte sur le devenir de la Nation. Nous sommes tous porteurs des traumatismes portés par notre Histoire commune, à toute échelle. Elle s'inscrit en nous comme des traces d'ADN. La meilleure façon de la dépasser, c'est de la comprendre.
La préface de Jean-Paul Sartre est difficile à lire, car violente. Cette violence marque une époque, un état d'esprit. Elle est une donnée déterminante du cours des évènements. Toile de fond de chacune des décisions des protagonistes, elle est le substrat du rapport entre colons et colonisés, et devient un personnage en elle-même. Dans les règles du jeu, elle est et a toujours été un protagoniste essentiel; et continue de façonner les liens entre les hommes. Non-traitée, la violence des colonisations continue de dicter les rapports entre les hommes, entre les quartiers, entre les Nations, et entre "le Nord et le Sud".
Réactualiser Frantz Fanon, son propos sur l'indigénisme, sur la dissymétrie des forces et des violences, c'est une clé pour comprendre ce qui continue de façonner nos sociétés, et cesser de s'en étonner. C'est là, à travers l'exemple de la guerre d'Algérie, le retranscription d'une vieille idée: présenter l'autre comme l'incarnation du mal et soi-même comme celle du bien. "Celui désigné comme mal, figé sous le regard, éprouve d'abord de la honte désubjectivante, puis de la haine".
Interroger la violence, la décortiquer, la comprendre à la lumière des évènements passés pour éclairer nos rapports actuels et la retrouver partout, en tous lieux, sous toutes formes; et tenter de la dépasser.
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"L'indépendance a certes apporté aux hommes colonisés la réparation morale et consacré leur dignité. Mais ils n'ont pas encore eu le temps d'élaborer une société, de construire ou d'affirmer des valeurs. Quant aux dirigeants, face à cette conjoncture, ils n'hésitent pas et choisissent le neutralisme."