Daniel est le fils d’un magnat texan du pétrole et d’une espagnole originaire de Galicie, ils vivent tous les trois à Dallas mais séjournent quelques semaines à Madrid lors de l’été 1957, le temps que soient négociés des droits de forage dans le pays pour la compagnie de son père. En effet, depuis quelques années l’Espagne s’ouvre aux investisseurs étrangers, ainsi qu’au tourisme dans une certaine mesure, mais surtout elle a permis aux Etats-Unis d’installer des bases militaires sur son territoire. L’hôtel Castellana, au cœur de Madrid, accueille un grand nombre d’américains fortunés ou de diplomates et il va donc en partie servir de cadre à cette histoire. Daniel, passionné de photographie, va y faire la connaissance de compatriotes, mais surtout d’Ana, jeune femme de chambre espagnole affectée au service de sa famille. Avec elle il va découvrir un autre pan de l’Espagne, celui qu’on ne montre pas aux touristes et aux investisseurs. Bien sûr la plupart des américains, à commencer par les diplomates, ont bien conscience qu’un certain nombre de choses ne sont pas normales, mais ils préfèrent ne pas s’en mêler. La position officielle semble être qu’en commerçant avec l’Espagne ils aideront à long terme plus le peuple espagnol que la dictature.
Le récit fictionnel est entrecoupé d’archives historiques, émanant notamment de journaux ou de la « collection d’histoire orale des Affaires étrangères ».
L’ambiance est vraiment bien rendue, à la fois chaude, pesante et pleine de secrets et même si parfois elle se montre légère, cela n’est pas appelé à durer. Mais surtout le récit joue sur les variétés de parcours, de conditions de vie et d’état d’esprit des protagonistes afin de montrer les différentes facettes de l’Espagne sous Franco. On voit le faste de la vie à l’hôtel qui contraste fortement avec la pauvreté d’une grande partie de la population, les espagnols apparentés à des républicains qui doivent oublier leur passé pour survivre, le poids de la morale chrétienne et les mensonges proférés, la crainte de la Guardia Civil et une méfiance généralisée, le sort des orphelins et tout ce qui y est lié. On s’attache facilement aux personnages, notamment à Daniel et Ana. L'autrice a un vrai talent de conteuse et même si on sent la volonté didactique prendre le dessus par moments, et qu'il y a parfois ce qui m'a semblé être quelques facilités, on se laisse quand même porter par son récit. Le roman a beau être relativement imposant, les chapitres sont courts, aussi on dévore rapidement cette histoire à la fois tragique et lumineuse. Le mot de l’autrice à la fin du livre est émouvant et la somme de ses recherches pour pouvoir l’écrire impressionnante.
Sandra
Une histoire hautement romanesque assortie d'une immersion documentée dans l'Espagne franquiste des années 50
1957: L'Etat franquiste fait appel aux investisseurs américains pour soutenir son économie et les accueille dans le plus bel hôtel de Madrid : l'hotel Castellana.
C'est donc avec l'espoir de réaliser un gros contrat que la famille Matheson investit la suite 760 : le père, magnat du pétrole, la mère « femme au foyer » comme il se doit et d'origine espagnole, et le fils, Daniel, 18 ans ; Daniel qui rêve de devenir photojournaliste, alors que son père n'envisage pas d'autre avenir pour son fils que le pétrole. Hiatus...
Ana a 16 ans ; elle est femme de chambre à l'hôtel et préposée au service des Matheson. Elle est aussi et surtout la fille de républicains assassinés par les fascistes. Avec sa sœur et son frère elle survit, dans la pauvreté, mais avec des rêves d'ailleurs que rien ne peut altérer.
Entre les deux adolescents l'attirance est immédiate.
Mais quel peut être leur avenir dans ce pays recouvert d'une chappe de plomb où la guardia civil fait régner la terreur ?
Autour d'eux gravitent une foule de personnages, chacun ayant sa part de rêve, de mystère, de chagrin, de tragique et de silence.
Car c'est bien le silence qui est omniprésent ce roman choral, construit comme un écheveau dont les fils sont tirés un à un jusqu'au dénouement final.
Au centre du récit un scandale peu connu de l'Espagne franquiste : le trafic d'enfants issus de familles républicaines ou nés hors mariage. Enlevés à leurs familles, ce sont des milliers d'enfants qui seront adoptés par des familles franquistes et ce jusque dans les années 80.
Des chapitres courts rythment efficacement le récit qu'on ne lâche pas jusqu'à la dernière page ; des extraits d'articles, d'archives, de manuels s'intercalent entre les chapitres et une bibliographie conséquente est
proposée à la fin du roman ; il a fallu huit ans de recherches, de lectures, de rencontres à Ruta Sepetys pour mener à bien l'écriture de ce roman.
Son talent est d'avoir réussi le tour de force d'allier rigueur historique et romanesque.
Une lecture à recommander aux plus grands ados et aux adultes
Anne Oullins