Je suis Rage par KylieRavera
« Je suis Rage » : que voilà un livre énervé ! Et pas facile de savoir par quel bout le prendre lorsqu’il s’agit d’en parler.
L’histoire ? Elle commence par une invective, celle d’un clochard bourré qui assène au monde ses quatre vérités. « Des cadavres en rangs serrés, voilà ce que vous êtes ! […] Vos yeux puent la mort et la peur. […] Vous finirez tous comme un beau tas de matière molle en décomposition… » Nous voici prévenus. Et armés pour partir à la rencontre d’une brochette de curieux personnages. Hermann, le misanthrope migraineux affublé d’une étrange bosse qui s’épanouit sur le sommet de son crâne ; l’inspecteur de police Legrasse, en charge d’enquêter sur les brusques accès de violence collective qui poussent des citoyens lambdas à se mettre dessus jusqu’à ce que mort s’ensuive ; la douce et peureuse Lucie, reine d’un monde fantastique créé par la seule force de son esprit ; le Roi des mendiants, qui règne sur une cité souterraine en attendant que se réalise la Prophétie ; et puis aussi Rage, Peur et Mort, dignes personnifications d’elles-mêmes. Sans parler des coyotes qui causent et des zombis.
De cette matière suffisante pour construire quatre ou cinq romans classiques, Neil Jomunsi façonne une œuvre atypique. Transgenre, imprévisible et chaotique, elle bringuebale le lecteur médusé entre bas-fonds glauques et paysages oniriques, entre l'au-dessus et l’en-dessous, entre un début d’enquête policière et une quête d’un graal hypothétique. Une constance, peut-être, comme une ligne directrice : la violence est omniprésente, à travers des confrontations multiples qui vont de la simple bagarre à des batailles épiques. Âmes sensibles s’abstenir : c’est souvent franchement gore, pour pas un penny. Symboles et références foisonnent, en cherchant un peu on trouve des morceaux de Lewis Carol, de Lovecraft, de Chrétien de Troyes, d’autres sans doute encore. Et puis l’auteur de Jésus contre Hitler n’hésite pas à s’emparer du thème de la Religion qu’il traite sur un mode faussement désabusé: le besoin de croire en quelque chose, en quelqu’un, avec l’impérieuse nécessité de ne jamais perdre tout à fait espoir… Et si c’était cela, le véritable thème du roman ?
Le style quant à lui est globalement maitrisé, avec quelques fulgurances et des phrases belles à citer, à peine gâché par des passages plus plats lorsqu’il faut faire avancer l’intrigue.
Niveau mise en page, je regretterai simplement l’absence en plusieurs endroits des espaces insécables avant les :, ! et les ? – on en a assez rebattu mes oreilles d’autoéditée pour que je me permette d’en faire la remarque !
Qu’en ai-je pensé, au final ?
J’ai beaucoup aimé le début, ancré dans un réel qui bascule petit à petit dans le fantastique. J’ai trouvé excellente l’idée du personnage de Lucie capable de créer des mondes, projection de l’écrivain qui aurait à rendre des comptes à ses personnages. Ensuite, passés les premiers 30%, j’ai été victime d’une sortie de route. Un décrochage qui m’a fait vivre le reste du livre de l’extérieur, en spectatrice intéressée mais sans plus. Il m’a manqué le fil logique qui me pousse à me passionner pour une histoire – je n’aime pas ce qui est trop brouillon. La démonstration devient plus pesante avec les personnifications qui se multiplient. Et j’ai trouvé à la fin une facilité légèrement décevante.
Malgré ce bémol lié à mon ressenti personnel, je conseille tout de même ce roman aux curieux qui veulent tenter une expérience de lecture atypique : un livre qui n’entre dans aucune case, qui prend même soin de les dynamiter, dans lequel on sent la fougue de l’auteur et son plaisir de mélanger des ingrédients de tous horizons pour offrir au lecteur un plat au goût inédit.
On lui pardonne volontiers s'il crisse parfois sous la dent.