Bon, allez, en ce début d'été, je vous emmène dans l'archipel des Hébrides et plus précisément sur l'île de Lewis et Harris (nord-ouest de l'Écosse) : un vol Paris - Stornoway via Manchester et Inverness - pas de direct, vous croyez quoi, vous ? Et n'allez pas oublier la polaire, l'épais coupe-vent et les bonnes chaussures de marche, voire les bottes. Prêt ? C'est parti ! (J'ai évidemment réservé au Crown Hotel de Stornoway - pour l'arrivée, car après : camping !)
Même si le roman commence à Paris - et vous découvrirez tout seul pourquoi - c'est essentiellement sur cette île du bout du monde que nous promène Peter May. Et quelle balade ! Cet auteur a vraiment le don de nous immerger (à prendre au pied de la lettre!) dans un lieu, une atmosphère, des traditions et, il faut bien le dire, c'est ce que j'ai préféré dans ce roman ! En effet, ce Peter May a toute une palette de mots pour décrire les mille nuances de la mer tourmentée, les vents formidables qui décoiffent landes, bruyères et tourbières, les pluies insensées et les tempêtes extraordinaires, les multiples reflets du soleil sur les nuages : tout est lumière, couleur, souffle, tout est changement, transfiguration, métamorphose. Le grand soleil peut disparaître en un clin d'oeil et laisser place à des vents violents, des vagues rageuses et une terre boueuse sur laquelle il devient impossible d'avancer.
La sensation de vivre semble être multipliée à l'infini sur ces îles, tellement la nature est là dans toute sa puissance et sa force et l'on se sent petit, très petit même, face à une telle fureur !
Et Peter May place tous nos sens en alerte : on sent l'odeur de la mer et du vent ! Je me suis régalée de ces éléments en furie d'autant que je n'avais pas à les vivre, vautrée que j'étais dans mon lit ou ma chaise longue. Voilà à quoi sert la littérature : nous transporter et c'est certain, je l'ai été avec ce texte !
Après les paysages, les traditions et les coutumes qui font l'identité d'un pays : vous allez être plongé dans l'univers du tissage et de la fabrication des textiles, le Harris Tweed ou le Ranish Tweed, les anciennes fabriques de Shawbost et de Carloway, les vieux métiers à tisser comme le Hattersley remplacé par le Griffith double largeur, sans parler des tisserands et de leurs gestes ancestraux. Écoutez donc : « Le tissu était doux, somptueux, presque sensuel sous mes doigts. Mais c'étaient ses couleurs qui me fascinaient le plus. - C'est magnifique. Ça me fait penser à la découpe de la tourbe sur Pentland Road par un jour ensoleillé. Toutes ces teintes différentes. Les premières nouvelles pousses au milieu des herbes de l'hiver. Vert et rouge. Le brun des racines de bruyère, le bleu du ciel qui se reflète dans tous ces petits trous d'eau. » Pure poésie, non ? L'auteur précise d'ailleurs, en exergue, que « Le Harris Tweed est le seul tissu au monde à être décrit par une loi du Parlement. Cette loi de 1933 le définit ainsi : « Tissé localement à la main par les habitants des Hébrides extérieures, fini sur le sol des Hébrides extérieures, fait de pure laine vierge teinte sur le sol des Hébrides extérieures. » C'est clair, non ? Une espèce de super Label Rouge quoi !
Plus anecdotique par rapport au sujet principal de l'histoire mais néanmoins très amusante , j'ai beaucoup aimé l'évocation de la tradition du vol de portail le soir d'Halloween! Un truc comme ça, ça ne s'invente pas !
Et puis, il y a la langue : d'abord, dès le début, une page sur « la prononciation des mots gaéliques » : exemple « Amhuinnsuidhe » se prononce « av-anne-soué ». Répétez après moi ! Facile, non ? Allez, pas de frayeur, je suis tellement douée pour les langues que j'ai très vite abandonné et me suis fait un petit gaélique perso et tout s'est très très bien passé ! Ah, cette langue, elle fait vraiment partie du dépaysement : la mamaidh, les midges (beurk), le bothag, le machair, les balanisrachs, la tairsgear et n'oublions pas les noms propres : les Macfarlane, Ruairidh (personnage principal) qu'il faut prononcer Rou-are-i.
Découvrir cet univers m'a ravie, really ! Un vrai voyage dans l'espace et le temps que l'on retrouve immanquablement dans les romans de Peter May...
Maintenant, l'intrigue : bien sûr, il s'agit d'un roman policier dans la mesure où il y a une enquête mais on sent qu'au fond là n'est peut-être pas l'essentiel. Bon, deux mots, pas plus : Ruairidh et sa compagne Niamh, fondateurs de l'entreprise de tissu Ranish Tweed, sont venus à Paris pour participer au salon Première Vision. Mais Niamh soupçonne son mari d'avoir une liaison avec la créatrice russe, Irina Vetrov. C'est d'ailleurs une information qu'elle vient de recevoir via un mail anonyme. Alors, lorsque son mari lui annonce qu'il se rend à une réunion chez Yves Saint Laurent, elle a des doutes, le suit et tente de le rattraper… sans savoir que, dans quelques minutes, son destin va prendre un chemin imprévu et totalement basculer. STOP, pas plus - j'aurais peur que vous m'étrangliez! Comme je vous le disais, si je n'ai pas lâché mon bouquin avant de savoir le nom de l'assassin, preuve que le suspense est là et que ça marche, au fond, l'intrigue me semble être le prétexte à la découverte des hommes qui habitent cette terre, des paysages qui sont les leurs, des coutumes qu'ils respectent encore : c'est toute une époque, finalement, qui nous est racontée à travers l'histoire de Niamh et de Ruairidh, personnages dont on découvre petit à petit le passé et la vie sur cette île où chacun garde ses secrets et ses rancoeurs.
C'est certain, je n'oublierai jamais la maison de Ruairidh et et Niamh et les vues imprenables qu'elle offre sur l'océan les soirs de tempête, je la garderai longtemps au fond de moi comme un petit refuge du bout du monde…
Si vous êtes prêt pour l'embarquement, c'est parti ! Vous allez voir, ça va décoiffer !
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