Après avoir vu le feuilleton de la BBC qui en est une adaptation relativement fidèle, je n'avais qu'une envie : m'immerger dans le monde de Strange et Norrell, profiter de ses détails ; ce roman ayant la réputation d'être un énorme pavé rempli de notes de bas de pages, je me doutais que la déception ne serait pas au rendez-vous.
J'ai eu exactement ce que j'attendais : une uchronie écrite de façon un tantinet surannée et pompeuse, narrant des exploits magiques sur fond de lubies superficielles des classes favorisées, avec une pointe de critique à ces égards.
Si l'intrigue reste dans l'ensemble appréciable, elle a tendance à se permettre des digressions inutiles (ah les aristos du 19ème vivant de leurs rentes dont les soucis premiers sont leur ameublement et leurs tapisseries) et au final à laisser quelques interrogations (un autre roman centré sur le Roi Corbeau serait du pain béni).
Des réflexions sur la beauté, le pragmatisme, la perception des choses qui sont tout à fait valables dans la société contemporaine sont toutefois présentes, et les digressions matérielles de bourgeois nés dans le coton sont somme toute limitées, mis-à-part un chapitre vers la fin qui m'a franchement agacé.
La qualité principale de ce roman, et elle n'est pas des moindres selon moi, ce sont toutes ces petites histoires, ces espèces de contes et légendes qui le parsèment, souvent dans des notes de bas-de-page disproportionnées au point que ça en devient comique ; au final ce roman aurait pu être publié avec un recueil de contes à ses cotés, comme un produit dérivé, et c'est tout à l'honneur de l'auteure de ne pas avoir choisi cette voie.
Les Routes du Roi, celles des Fées, Illusions-Perdues, le Château de l’Oeil-et-du-Cœur-arrachés, la Gardeuse d'Oiseaux Chanteurs, la Fille du Gantier, Shadow House... et bien d'autres sont autant de régals pour l'imagination.
C'est un roman posé qui a une capacité à nous plonger dans un onirisme peu commun. Quelques rares touches de réalisme et de cruauté, couplées à des récits sombres, poétiques et "tordus", peuvent comme dit dans la critique du feuilleton, faire penser au Labyrinthe de Pan.
Ainsi croise-t-on une gourgandine très hormonale exsangue et la moitié d'un crâne explosé - ce qui fait toujours un net contraste avec le reste du roman, très "bisounours" y compris pour la partie "Guerres Napoléoniennes".
Je n'ai également pu m'empêcher de penser à Alice au Pays des Merveilles/de l'Autre Côté du Miroir pour de nombreuses raisons : pays magiques accessibles par des routes cachées, folie etc...
Toujours est-il que je recommande vivement ce roman qui ne ressemble à aucun autre. Je lui confère d'ailleurs la note maximale car outre ces multitudes d'histoires fantastiques accessoires à l'intrigue principale qu'il contient, je n'ose imaginer l'ampleur du travail qu'ont demandé la cohérence et la complexité de cet univers concentré en un seul roman.
P.S. : Childermass ftw.