Un roman surprenant, captivant dès les premiers mots grâce à une traduction joliment commentée dans les dernières pages du livre. On est saisi par cette langue, canadienne, oji-crie, qui laisse le lecteur français quelque fois de côté, qui l'oblige à décentrer son regard pour faire l'expérience de la sensibilité débordante du narrateur. On est désorienté par ces chapitres tous très courts, qui permettent de découvrir l'expérience d'un garçon queer ayant grandi dans sa réserve et l'ayant quitté, animant ses racines. On est perdu dans l'espace, dans le temps et c'est bien le produit la rencontre d'une altérité. On est surtout touché de la confiance du narrateur, en nous pour accueillir sa parole, en sa famille, de par le foisonnement des témoignages d'affection, en lui pour magnifier ses expériences et révéler la beauté de la douleur, le rejet, l'anodin.
Ici tout est fluidité et ça nous emporte malgré cet inconfort, cette sensation de devenir voyeur, qui sont une fois de plus un acte de partage de la précarité du narrateur. Ni un récit victimaire, ni un pamphlet politique, alors qu'on sent à chaque page la violence de la colonisation et des normes de genre, c'est une existence qui se livre à nous.