Mélancoliques mimoïdes
Un des romans les plus marquants qu'il m'ait été donné de lire, et qui demande sans doute à être lu et relu pour en saisir toute la portée. L'histoire de Kelvin, rejoignant trois collègues sur la...
le 5 mars 2016
17 j'aime
6
Ce livre me pose d'énormes problèmes. Certes, sortir le dessinateur Joseph Kaspar Sattler des oubliettes avait son intérêt, et je veux bien qu'on confie la rédaction d'un livre concernant l'histoire de l'art à quelqu'un qui n'est pas historien de l'art - après tout, Georges Vigarello traite régulièrement du sujet lors de conférences ou d'expositions, alors qu'il est historien ; mais c'est qu'il a toujours travaillé comme chercheur de façon transversale et qu'il reste toujours en lien avec les thématiques qui font sa spécialité.
Ce n'est malheureusement pas le cas de Vincent Wackenheim, qui n'est certainement pas un chercheur professionnel ou amateur et dont les qualités pour la chose consistent visiblement à être éditeur juridique, ainsi que marié et père de trois enfants (cf. la présentation au début du livre). Ce qui fait tout de même tiquer un petit peu les esprits pointilleux, d'autant qu'ils découvriront rapidement que le même Vincent Wackenheim multiplie tout au long de l'ouvrage les clichés, oublis, approximations et contre-vérités sur l'Art Nouveau et le symbolisme. Il donne par exemple une définition de l'Art Nouveau en oubliant complètement une des lignes fondatrices du mouvement, à savoir qu'il s'agit d'un art qui se veut total. Dans la même définition, il prétend que l'Art Nouveau est né en réaction au symbolisme. C'est tout à fait faux et c'est un peu vite oublier que les deux mouvements sont contemporains et complètement poreux l'un à l'autre, qu'ils multiplient les convergences, que les revues comme Ver Sacrum ont constamment mêlé les productions de l'Art Nouveau et du symbolisme, que certains artistes sont bien difficiles à faire entrer dans une des deux cases plutôt que dans l'autre (on pense évidemment à Klimt, à Lalique, et à bien d'autres), etc., etc. On comprendra peu à peu que monsieur Wackenheim n'aime pas le symbolisme, ce qui l'autorise visiblement à raconter un peu n'importe quoi. Cela étonnera d'autant plus qu'il est vite évident qu'on peut rattacher sans problème Joseph Sattler au symbolisme.
Et donc, ce livre, qui a tout l'air de se présenter comme un travail de qualité sur un artiste, ne nous livre jamais la moindre analyse un tant soit peu rigoureuse et objective de l’œuvre de l’artiste en question ; en fait, d'analyse tout court il n'y a point. Alors oui, on a bien droit à des textes accompagnant une série de dessins de Joseph Kaspar Sattler, mais il s'agit là de pures interprétations éminemment subjectives de la part de Vincent Wackenheim, qui ne reposent absolument pas sur les critères d'observation et d'étude propres à l'histoire de l'art, critères un tant soit peu nécessaires pour qui veut prétendre imposer son point de vue noir sur blanc dans un livre qui coûte tout de même 30€. Voilà qui me pose là aussi un sacré problème. Que Vincent Wickenheim donne quelques interprétations personnelles des dessins de Sattler, ça ne me dérangerait pas s'il les annonçait clairement comme telles et en fin d'ouvrage. Or, ici, c'est la première chose à laquelle on est confronté, avant même les dessins de l'artiste. Tenez-vous bien, au lieu de présenter au lecteur le dessin, d'abord, histoire qu'on puisse le regarder sans a priori, puis le texte, on nous impose le texte interprétatif avant le dessin - ce qui est ma foi un comble -, avant les chapitres sur le genre de la danse macabre, avant la biographie, et par là même on nous impose donc le point de vue de l'auteur qui ne repose sur absolument rien d'objectif. Drôle de façon de procéder, qui revient en somme à contaminer le regard du lecteur avant même qu'il ait posé les yeux sur l’œuvre de Sattler.
Après cette présentation très contestable de la série de dessins intitulée Une danse macabre moderne, on a droit à tout l'historique des publications de Joseph Sattler, avec moult petits détails techniques, pratiques, quotidiens, assortis de documents pour faire du remplissage. Suit un chapitre consacré au genre de la danse macabre au Moyen-âge, puis au XIXème, avec là encore quelques jolies imprécisions et curieux détours. Je passe sur la relative incompétence de l'auteur en la matière, qui oublie joyeusement de parler des transis, qui voit dans la mode des dessins et cires anatomiques une continuité des danses macabres (c'est un tout petit peu plus compliqué que ça, mais pourquoi s'embarrasser de scrupules, n'est-ce pas ?), qui soutient que le XVIIIème - précisément le siècle où les dissections et les cires anatomiques furent très en vogue - consiste en une époque où le macabre n'était pas représenté ; ce n'est pourtant pas un hasard si Sade a écrit Les 120 journées pendant cette période. Et j'en passe... Là encore, approximations, oublis, contre-vérités. Hélas. Le tout se terminant sur une biographie assez ennuyeuse de Joseph Sattler, toujours émaillée de documents divers pour donner un peu de consistance à l'ouvrage.
On ne peut pas pourtant pas dire que Vincent Wackenheim ne se soit pas renseigné sur le sujet, vu les détails, documents et notes en bas de page dont il nous afflige. Le problème est que, d'une part, il est visible qu'il régurgite par moments, de façon assez laborieuse, une leçon apprise bien consciencieusement, et que, d'autre part, il ne maîtrise carrément pas son sujet. Par conséquent, on aimerait bien savoir ce qui a motivé les éditions de L'Atelier contemporain à lui confier la rédaction de ce livre. Une hypothèse : étant éditeur juridique, il a un bon réseau relationnel dans l'édition, il avait envie de se faire plaisir et on lui a donné carte blanche sans se poser de questions. Pourtant, et même si Joseph Kaspar Sattler est carrément méconnu en France, il doit bien exister des doctorants, ou d'anciens doctorants, ou encore des chercheurs amateurs, qui travaillent actuellement ou ont travaillé sur cet artiste de manière rigoureuse. Tiens, tiens, me vient à propos une dernière remarque. La dernière, mais non la moindre : comment se fait-il que le présent ouvrage ne propose aucune bibliographie ? Tous les renseignements que monsieur Wackenheim a rassemblés dans ce livre, il les a bien glanés quelque part, pourtant... Voilà qui est bien représentatif du travail approximatif de l'auteur et de la maison d'édition L'atelier contemporain (je peux vous dire que je me méfierai de leurs autres publications, après ça) et qui soulève même quelques questions sur leur éthique. Qu'est-ce qui m'empêche après tout de penser que j'ai sous les yeux un plagiat de thèses de doctorat ? En tout cas, ça y ressemble fort pour une grande partie de l'ouvrage.
Alors, oui, Wackenheim et L'Atelier contemporain ont sorti Jospeh Kaspar Sattler du placard, ce qui soulève un intérêt certain pour l'artiste. Ce n'était pourtant pas lui faire honneur que de publier cette imposture éditoriale. D'autant qu'à 30€ le bouquin, c'est franchement du vol.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Prévisions 2018 : Livres, Lu (ou relu) en 2018, Créations de fiches Livres et Ma bibliothèque
Créée
le 2 févr. 2018
Critique lue 123 fois
1 j'aime
Du même critique
Un des romans les plus marquants qu'il m'ait été donné de lire, et qui demande sans doute à être lu et relu pour en saisir toute la portée. L'histoire de Kelvin, rejoignant trois collègues sur la...
le 5 mars 2016
17 j'aime
6
J'ai presque envie de débuter ma critique par "C'est une merde", pour reprendre les propos d'un des personnages de la pièce. Certes, c'est un début un peu vulgaire, mais certainement pas plus que...
le 14 févr. 2019
14 j'aime
7
J'avais commencé par regarder, il y a déjà quelques temps, les conférences en ligne de Michel Pastoureau sur les couleurs à l'auditorium du Louvre. Et c'est parce qu'elles m'ont captivée que j'ai...
le 7 mars 2015
14 j'aime
8