Cette histoire est un fameux gros bordel, un imbroglio d'histoires de justice, d'enquête, et de gens tout plein de frics, avec plein de secrets. Ça s'emmêle, se démêle et ça laisse des traces.
Le pauvre Spät ne s'en relèvera pas de cette vilaine crasse humaine.
Et c'est troublant comme ça m'a définitivement fait penser à Tchekhov et même un brin de Dostoievski. Par ce personnage d'intellectuel désœuvré, qui est peut-être le dernier être pur, avec un regard distant et forcément critique sur la société qui l'entoure. Un personnage qui avance de désillusions en amertume.
J'y pense aussi par le portrait des familles riches face aux pauvres, à cette alcool qui coule à flot (avec les prostituées en plus), aux mansardes qui ressemblent à des barques dérivants leur misère dans les flots d'une humanité corrompue.
L'écriture de Dürrenmatt version mémoire de Spät, c'est parfois un peu le désordre, ça va vite, et ça s'embrouille les pinceaux, mais on retombe sur ses pattes, et les évènements, les rencontres, les litres de Johnnie Walker finisse par s'écouler tout seul. On en sort un peu étourdi, mais pas perdu.
C'est abrasif, acide, cinglant, et drôle. On se surprend à sourire, voir à rire, de situations horribles, de répliques acerbes, de personnages limite grand-guignol (un personnage de femme handicapée façon avorton déformé file à la fois un frisson de frayeur, un sourire de méchanceté, l'impression d'une hallucination... ça fait penser à Freaks de Browning)
Pour la fin, je suis un peu plus retenue. Elle part en effet dans du grand délire, un peu trop WooHoo vous ne l'aviez pas vue venir celle-la. Non en effet, et ... bof, je trouve qu'elle n'amène pas grand chose, et qu'elle est limite frustrante parce qu'elle semble incohérente avec tout ce qu'on vient de lire, ou en tout cas nous révéler qu'il reste encore plein de zones d'ombres pour lesquelles on n'aura jamais d'éclairage.
Sans compter sur les petites pages de réflexion du "vrai" auteur (qui aurait récupéré le manuscrit de Spät) sur le temps, la façon qu'à le monde de tourner, les lois de l'univers... etc... J'ai pas trop compris ce qu'on pouvait bien en faire. L'impression que l'auteur s'est fait plaisir. Un peu cabot pour le coup... ? Je ne sais pas.
Donc mis à part ces 50 dernières pages, ce livre est un régal étonnant, pour lequel je n'ai certainement pas pris le temps et la concentration nécessaire. Qu'à cela ne tienne, il me reste d'autres livres de Dürrenmat pour me rattraper !