Un essai magistral dans l'histoire des idees

Clavier QWERTY : veuillez excuser l'absence d'accentuation. Les eventuelles coquilles ne seraient bien sur pas de la responsabilite du clavier.

Je m'appuie sur l'Edition Akribeia de 2016 pour mes renvois de page.

L'ouvrage est digne des écrits universitaires les plus sérieux malgré un style parfois pamphlétaire ; cela se traduit par un énorme travail de recherche documentaire et une bibliographie extrêmement bien fournie mais aussi une véritable connaissance de terrain du sujet, par la frequentation des milieux de la droite radicale^ et de "l'autre tiers-mondisme". Si l'auteur n'avait pas de reputation "sulfureuse" (ce dont il se moque a mon avis), il aurait pu pretendre a la meme notoriete qu'un Pierre-Andre Taguieff par exemple.

La note d'intention de l'auteur est explicite en note de bas de page (#5, p. 89), c'est a dire produire un ouvrage sur "l'autre tiers-mondisme" sous l'angle avant tout de l'histoire des idees, en s'inspirant d'ouvrages anterieurs, plus empiriques et avec un interet documentaire certain.

L’autre tiers-mondisme est bien décrit dans la présentation générale de l’ouvrage ; pas vraiment un tiers-mondisme de droite car il a pour adhérants des gens de ‘la gauche de la droite’ c’est une ligne qui prône une Troisième Voir hostile à la fois à la démocratie parlementaire de l’Ouest et au socialisme d’Etat de l’Est (p. 10-11) bien que la définition de cette Troisième Voie ne soit pas toujours très nette et c’est un Tiers-mondisme non internationaliste et différentialiste, même dans sa variante idéaliste (p. 12).

Le "paléo-tiers-mondisme" est exploré dans les deux premiers chapitres avant l’arrivée à proprement parler du phénomène dans sa variante “laïque et réaliste-machiavélienne” de Jean Thiriart^^ (puis d’Alain de Benoist) et sa variante “idéaliste et métapolitique” de Johann von Leers qui va beaucoup plus loin et pousse la logique "alter" tiers-mondiste jusqu’au bout.

La ligne “réaliste” à la Thiriart a en effet aboutie "à l’insu de son plein gré" à la ligne “idéaliste” dite nationale-révolutionnaire (voire le chapitre sur Thiriart). Le côté proprement spirituel et métapolitique ou ligne “traditionnelle-révolutionnaire” qui met les deux pieds dans l’islamophilie (voir p. 223-231) et le romantisme guévarriste (voir p. 21) a plutôt été le produit du travail intellectuel de Claudio Mutti.

Selon Philippe Baillet, la variante “idéaliste et métapolitique” clame un héritage et une continuité avec le fascisme (italien) et le national-socialisme (allemand) par son antijudaisme (flagrant chez von Leers ou Mutti) tout en ignorant le caractère fondamentalement européen (dixit Adriano Romualdi) et donc ethno-culturel voire franchement racial du phénomène fasciste (voir aussi p. 220). Cette ignorance feinte ou sincère s’accompagne aussi d’une islamophilie (Leers, Mutti, les guénoniens, les soraliens pour la partie la plus dégénérée).

Baillet, traducteur et specialiste de l'intellectuel fasciste Julius Evola dénonce une interprétation délirante d’Evola de la part des "alter" tiers-mondistes, notamment ses supposees sympathies pour les tendances nationales-revolutionnaires (voir p. 214-216).

La longueur des deux chapitres sur Rene Guenon et son heritage sont bien justifies entre les p. 233-237 : penseur indifferent aux questions politiques (et dont Baillet juge la profondeur intellectuelle et la proposition metaphysique manifeste) donc a priori en dehors du sujet de l'ouvrage mais (i) qui a eu une grande influence au sein d'un cercle de lecteurs erudits et heteroclite et au sein meme de la droite radicale et (ii) qui a alimente un climat islamophile (et par extension une indifference aux questions ethno-raciales, voire une hostilite profonde envers l'Occident) au sein des milieux de la droite radicale.

La derniere partie de l'ouvrage est un eloge (relativement critique, rigueur intellectuelle oblige)^^^ notamment de Guillaume Faye, de Renaud Camus et de Jean Raspail qui, selon Baillet, n'ont pas perdu de vue l'essentiel, a savoir la situation critique de l'Europe concernant les tendances demographiques (pour ne pas dire raciales) pour le XXIe siecle. S'ensuit un eloge de la pensee conservatrice contre-revolutionnaire et sa "defense des prejuges" et une prescription a depasser le cadre politique pour le cadre meta-politique et la constitution de reseaux, voire d'une avant garde dans la "partie preservee de l'Europe" (incluant selon lui aussi la Russie).

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^ : Pour reprendre un petit ouvrage ulterieur de Baillet ("La Confrerie des Bons Aryens et la Nef des Fous" 2018, Editions Akribeia) qui finit de dezinguer la droite radicale, celle-ci est definie, au moins dans le cas francais (note de bas de page #3 p.75) comme un continuum d'auteurs, publications et organisations allant du courant nationaliste-revolutionnaire (la "gauche" du phenomene) au courant identitaire et racialiste (la "droite" du phenomene). A noter que ce decoupage ne recoupe pas parfaitement l'adhesion ou non a l'autre tiers-mondisme, meme si on peut supposer une correlation forte entre les tendances de "gauche" de cette droite et l'ideologie "alter" tiers-mondiste.

^^ : Baillet rappelle ainsi que la ligne de Thiriart etait prise dans une contradiction entre l'apologie d'une troisieme voie et le mepris absolu des civilisations extra-europeennes. Il reproche par ailleurs a Guillaume Faye d'avoir un ton de mepris totalement excessif, entre autres lorsque celui-ci parle de la superiorite absolue de l'Europe par rapport aux civilisations sud-asiatiques et est-asiatiques (dont Baillet rappelle a cette occasion tout le respect qu'il eprouve pour celles-ci).

^^^ : Malheureusement, Baillet, qui n'ignore pas la pedomanie de Gabriel Matzneff,(explicitement evoquee dans un passage demystifiant la pratique de l'homosexualite dans les pays arabo-musulman, notamment au Maroc avec la large pratique du tourisme sexuel), ne va pas jusqu'a rappeler que Guillaume Faye a, pendant les annees 90, peut etre par esprit de provocation/destroy, pris la defense de ce dernier et meme ete a la limite de l'eloge de la pedomanie (si l'on en croit la fiche Wikipedia de Guillaume Faye). Il ne rappelle pas non plus les accusation d'apologie de pedomanie de Renaud Camus dans les annees 70 et 80 et son amitie avec Matzneff (info egalement tire de sa fiche Wikipedia), peut etre pour ne pas aboyer avec la meute de la presse autorisee, pour ne pas froisser des amities ou tout simplement pour eviter tout souci judiciaire. A noter que meme si ces accusations sont fondees, cela ne remet pas en cause en soit l'argumentaire des interesses sur les tendances demographiques en Europe.