Chapitre II: Les états doivent conserver le type familial
"La famille n'est point seulement l'élément premier de tout Etat, elle en reste l'élément constitutif, de telle sorte que la société régulière, telle qu'elle existe, si longtemps qu'elle n'a point contrarié les lois de la nature, comme l'a fait notre France par la Révolution, se compose non d'individus, mais de familles. Aujourd'hui, les individus seuls sont comptés, l'Etat ne connaît que des citoyens dispersés; cela est contraire à l'ordre naturel. Comme le dit fort bien M. de Savigny : « L'Etat, une fois formé, a pour éléments constitutifs les familles, non les individus. » Il en était ainsi autrefois, et ce qui le montre d'une manière bien sensible, c'est que dans les dénombrements de population, on comptait toujours, non par personnes, mais par feux, c'est-à-dire par foyers; chaque foyer était réputé le centre d'une famille, et chaque famille était dans l'Etat une unité politique et juridique aussi bien qu'économique.
M. Buisson a dit un jour à la Chambre : Le devoir de la Révolution est d'émanciper l'individu, la personne humaine, cellule élémentaire organique de la société. »
C'est bien, en effet, la tâche que la Révolution s'est imposée, mais cette tâche ne va à rien moins qu'à désorganiser la société et à la dissoudre. L'individu n'est qu'un élément dans ce qui est la cellule organique de la société. Cette cellule, c'est la famille; en séparer les éléments, faire de l'individualisme, c'est en détruire la vie, c'est la rendre impuissante à remplir son rôle dans la constitution de l'être social, comme ferait dans l'être vivant la dissociation des éléments de la cellule végétale ou animal."
"« Il y a, dit M. de Bonald, des lois pour les fourmis et les abeilles. Comment a-t-on pu penser qu'il n'y en avait pas pour la société des hommes et qu'elle était livrée aux hasards de leurs inventions? » Rousseau a pensé cela. Il s'est ingénié à formuler pour les Etats d'autres lois que celles posées par le Créateur; et les démocrates, ses disciples, en s'efforçant d'après ses leçons, d'établir les Etals sur l'égalité en opposition à la hiérarchie, sur la liberté en opposition à l'autorité, et sur l'indépendance réciproque en opposition à l'union, ne peuvent que les détruire et les détruire par la base."
"« Le mesnage, dit Jean Bodin au second chapitre du livre premier de son ouvrage, est un droict gouvernement de plusieurs subjects sous l'obéissance d'un chef de famille. La respublique est un droict gouvernement de plusieurs mesnages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine. Il est impossible que la respublique vaille rien si les familles qui sont
les piliers d'icelle sont mal fondées ».
Léon XIII parle de même : « La famille est le berceau de la société civile, et c'est en grande partie dans l'enceinte du foyer domestique que se prépare la destinée des Etats ». Et ailleurs : « La société domestique contient et fortifie les principes et, pour ainsi dire, les meilleurs éléments de la vie sociale : aussi est-ce de là que dépend en grande partie la condition tranquille et prospère des nations ». C'est donc avec raison que M. de Bonald dit : « Quand les lois de la société des hommes sont oubliées de la société politique, elles se retrouvent dans la société domestique. »
Dans notre France, la société a conservé jusqu'à la Révolution le type familial."
" Il traitait ses sujets avec une entière familiarité. « Tous les jours, dit Joinville, en parlant de saint Louis, il donnait à manger à grande foison de pauvres, dans sa chambre, et maintes fois je vis que lui-même taillait leur pain et donnait à boire. » Ce serait erreur de croire que ces traits aient été particuliers à la magnifique bonté de saint Louis; Robert le Pieux, entre autres, agissait de même. Ce fut une tradition parmi nos anciens rois, de se montrer accueillants et bienfaisants surtout pour les petits et les humbles.
Au XIIIe siècle, le roi se promenait à pied dans les rues de Paris, et chacun; l'abordait et lui parlait sans autre façon. Le Florentin Francesco da Barberino marque sa surprise de voir Philippe-le-Bel, — de qui la puissance se fait sentir jusqu'au fond de l'Italie — se promener ainsi dans Paris et rendre avec simplicité leur salut aux bonnes gens qui passent. Il ne manque point d'opposer cette bonhomie à la morgue des seigneurs florentins.
Au témoignage du chroniqueur Chastellan, Charles VII « mettait jours et heures de besogner à toutes conditions d'hommes, et besognait de personne à personne, distinctement à chacun. »
Les ambassadeurs vénitiens du XVIe siècle constatent, dans leurs célèbres dépêches, que « nulle personne n'est exclue de la présence du roi et que les gens de la classe la plus vile pénètrent hardiment à leur gré dans la chambre intime. » Le roi mangeait devant ses sujets, eu famille. Chacun pouvait entrer dans la salle durant les repas. « S'il est un caractère singulier dans celte monarchie, écrit Louis XIV lui-même, c'est l'accès libre et facile des sujets au prince. »
Et de fait, malgré la multiplication des moyens de transport et le prodigieux accroissement près de la demeure royale d'une ville comme Paris, nous voyons le grand roi recevoir chaque semaine tous les solliciteurs qui se présentaient, si pauvres, si mal vêtus fussent-ils.
« J'allais au Louvre, écrit Locatelle en 1065, je m'y promenais en toute liberté, et traversant les divers corps de garde, je parvins à cette porte qui est ouverte dès qu'on y touche et le plus souvent par le roi lui-même. Il suffit d'y gratter et l'on vous introduit aussitôt. Le roi veut que les sujets entrent librement. »
Les événements qui concernaient directement le roi cl la reine étaient pour la France entière des événements de famille. La maison du roi était au propre « la maison de France ».
Les Lettres d'un voyageur anglais sur la France, la Suisse et Allemagne rendent les mêmes
témoignages que ci-dessus. Voici quelques lignes de la citation qu'en fait J. de Maistre dans l'un de ses opuscules :
« L'amour et l'attachement des Français pour la personne do ses rois, est une partie essentielle et frappante du caractère national... Le mot roi excite, dans l'esprit des Français, des idées de bienfaisance, de reconnaissance et d'amour en même temps que celles de pouvoir, de grandeur et de félicité... Les Français accourent en foule, à Versailles, les dimanches et les fêtes, regardant leur roi avec une avidité toujours nouvelle, et le voient la vingtième fois avec autant de plaisir que la première. Ils l'envisagent comme leur ami, comme leur protecteur, comme leur bienfaiteur. »
« Avant la Révolution, dit aussi le général de Marmont, on avait pour la personne du roi un sentiment difficile à définir, un sentiment de dévouement avec un caractère presque religieux. Le mol « Roi » avait alors une magie et une puissance que rien n'avait altéré. Cet amour devenait une espèce de culte. »
« Souvenez-vous d'aimer avec tendresse la sacrée personne de notre roi, disait en 1681 à ses
enfants dans son Livre de Raison, un modeste
habitant de Puy-Michel (Basses-Alpes), de lui être obéissant, soumis et tout pleins de respect
pour ses ordres. » Des recommandations semblables se trouvent dans les autres Livres de
Raison, publiés par M. Charles de Ribbes; et les devises des familles seigneuriales expriment
souvent les mêmes sentiments.
Ils ne se manifestèrent jamais plus bruyamment qu'à l'avènement de Louis XVI.
" Les cris de Vive le Roi! qui commençaient à six heures du matin, n'étaient point interrompus jusqu'au coucher du soleil. Quand naquit le Dauphin, la joie de la France fut celle d'une famille. On s'arrêtait dans les rues, on se parlait sans se connaître, on embrassait tous les gens que Ton connaissait.
M. Aulard, historien officiel de la Révolution, forcé par les réalités qui se sont imposées à son attention, parle ainsi de l'amour des Français pour leur roi et de leur attachement à la monarchie :
« Les maux dont on se plaint, nul ne songe à les attribuer à la royauté ou même au roi. Dans tous les cahiers, les Français font paraître un ardent royalisme, un ardent dévouement à la personne de Louis XVI. Surtout dans les cahiers du premier degré ou cahier des paroisses, c'est un cri de confiance, d'amour, de gratitude. Notre bon roi! Le roi notre père! Voilà comment s'expriment les ouvriers et les paysans. La noblesse et le clergé, moins naïvement enthousiastes se montrent aussi royalistes »
(Histoire politique de la Révolution française, p. 2)."
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