La première force de ce livre est d'avoir été écrit par un reporter de terrain, pas quelqu'un qui analyse tout cela depuis son salon parisien. Hélène Sallon, grand reporter pour Le Monde entre autre, a passé plusieurs mois auprès de la coalition irakienne qui a reconquis la ville de Mossoul, elle a ensuite été une des premières à pénétrer dans la ville, quartier par quartier. Elle a dialogué pendant des mois avec les Mossouliotes (qu'ils aient été partisans ou victimes de l'EI), a recueilli et recoupé des informations, etc.
Son livre est un portrait de Mossoul pendant les deux ans et demi de domination d'EI. Éducation, santé, organisation sociale, propagande, rôle des femmes, elle aborde les différents sujets de façon claire et argumentée, pouvant toujours prouver ce qu'elle avance.
Là où elle est la plus intéressante, c'est justement sur le côté social : comment EI est né, comment il a pu remporter la victoire à Mossoul en profitant de la crainte des sunnites face au pouvoir politique chiite, comment Saddam avait changé la configuration de Mossoul en y intégrant des tribus des régions alentours, plus rigoristes dans leur vision de la religion (là où la ville était plus tolérante), comment les deux Guerres du Golfe ont créé un terrain fertile pour les extrémistes, etc.
Elle nous montre aussi comment la ville a été gérée par EI, qui n'a pas hésité à employer la démagogie pour se faire accepter : ils ont refait des routes détruites par le conflit, remis en place les services publics abandonnés par l'état central irakien, apporté des aides sociales aux plus pauvres, etc. Ils ont avancé masqués, distribuant assez tôt une Constitution de la ville mais ne la mettant en oeuvre que petit à petit, par étapes imperceptibles.
Le reste est, hélas, l'application d'un pouvoir totalitaire dans le sens fort du terme. Toute la vie des habitants de la ville (de ceux qui y sont restés du moins) est soumise à une idéologie mortifère. Comme pour le IIIème Reich ou les régimes communistes, il s'agit d'abord de créer une discrimination, de séparer les bons humains, sunnites pratiquants rigoristes, et les autres, forcément inférieurs, que l'on peut éventuellement accepter comme esclaves (sexuels la plupart du temps, comme pour les Yézidis).
Ensuite, une fois ces ségrégation installées, il faut façonner un homme nouveau. La prédominance est accordée aux entraînement militaires : selon EI, le bon musulman est d'abord un combattant. tous les budgets sont soumis à celui de la guerre. Quand tout aura été coupé, il restera encore celui-là. Les combattants sont les héros, ils ont tous les privilèges (ils sont les seuls à avoir de l'électricité en permanence, là où les simples habitants doivent s'en contenter une ou deux heures par jour ; ils reçoivent d'importantes aides sociales, etc.). Et parmi cette nouvelle aristocratie, les combattants étrangers (essentiellement russophones, mais on sait aussi qu'il y avait des Français dans le lot) sont les mieux lotis.
En bref, c'est tout une description minutieuse et effrayante qui est menée ici. Une description qui n'hésite pas à prendre du recul aussi pour montrer les mécanismes qui mènent à une telle situation. Les témoignages de Mosul Eye, blogueur qui, au péril de sa vie, donna une description quotidienne de la vie dans le Mossoul de l'EI, sont passionnants également.