Roman complexe que « L’accordeur de piano » de Pascal MERCIER (Ed. :10-18 n° 4311). Roman à lire cependant ! Si on veut aider le lecteur en proposant une clé de lecture, on a l’embarras du choix. En fait ce n’est pas une seule clé qu’on pourrait donner, c’est tout un trousseau.
J’ai envie de privilégier la gémellité. Par définition l’état de jumeaux. En effet, le fil conducteur choisi par l’auteur est l’écriture de cahiers, tour à tour rédigés par Patrice et Patricia. Après avoir, semble-t-il, vécu une longue période de fusion totale (Je suis toi. Tu complètes mes mots, mes phrases. Je devine ta réaction face à l’avenir avant même que celui-ci ne soit. Tu ne peux envisager de me perdre sans te perdre toi-même, …), ces deux jumeaux ressentent la nécessité absolue de se fuir, de mettre de la distance entre eux après l’incident, le clash, qui a semé le trouble dans bien des esprits et surtout dans le leur. Le contrat est simple, ils ne doivent plus se voir, ni prendre contact, ni chercher à savoir où est l’autre avant d’avoir exprimé, par l’écriture, leurs visions personnelles des événements antérieurs et vérifié s’ils sont toujours et étaient alors vraiment un … ou deux ! Patrice et Patricia écriront chacun sept cahiers, selon la ponctuation temporelle qu’ils donnent à leur histoire et à la prépondérance que chacun accorde aux faits et gestes de leur entourage, aux secrets qu’ils ont et aux stigmates du passé partagées avec Chantal, la mère sous morphine quasi en permanence ou Frédéric, dans son triple rôle de père, d’accordeur de piano reconnu et de compositeur d’opéra dont toutes les partitions sont systématiquement rejetées par les décideurs artistiques. Quel est le lien qui se tisse entre des jumeaux ? Où s’arrête l’aide qu’ils se portent ? Où commence la prise de pouvoir de l’un sur l’autre ? Et si la relation entre eux était encore d’un tout autre ordre ? Pouvons-nous comprendre ?
Un deuxième thème, central lui aussi, est la recherche de reconnaissance, de valorisation de chaque personnage surtout quand il est marqué dans sa chair, dans son histoire, dans sa capacité d’aimer par des actes pour lesquels il est plutôt victime que coupable. Entre l’amour et la haine, l’obéissance et la révolte, la passé et l’avenir, il n’y a parfois rien de très clair mais presque toujours beaucoup de troubles, d’hésitations, de questions sans réponse. Le fond de ce thème est admirablement traité par l’auteur sur fond de musique et de livrets d’opéra qui nous offrent un large panel des trahisons possibles en ce domaine.
Et puis, il y a le thème de la communication, celle qui unit, rapproche, soude à jamais, celle qui est maladroite, qui blesse par sa rareté, son insuffisance, ses silences. Celle aussi qui tait l’essentiel parce que la confiance est là, qu’il vaut mieux faire l’économie de mots trop pauvres pour exprimer ce qui est vraiment. La communication complice, la communication accusatrice, destructrice … ou tout simplement manquée, sans qu’on ne puisse trop dire pourquoi.
Riche, ce livre, parce qu’il nous renvoie à nous-mêmes, à ce que nous pensons qu’on aurait pu faire, dû faire… Riche par les questions qu’il pose et qui, devant la complexité des choses nous ramène à l’absence de certitude, l’humilité nécessaire à avoir devant toute vie d’autrui. Riche, enfin, par ses rebondissements dans la narration, par son écriture multi tonale où chacun pourra se servir et goûter à ce qu’il aime, ce qui l’interpelle ou lui fournit des pistes nouvelles pour lire son temps, sa vie.
François_CONSTANT
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le 20 mars 2015

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