La séparation pour de vrai, pour de faux! Va-t-on savoir ce qui arrive, comment ça arrive, qui fait arriver l'idée de finir avec l'amour, les jolis rêves, les beaux projets, les désirs irrépressibles. On se sépare, crise du logement aidant, on cohabite, on se supporte, on se surveille, on s’attend. Barbara et Arnaldo, supposant qu'il y a «quelqu'un d'autre», jouent à le croire et à le faire croire. Mais ce n'est pas là l'essentiel, l'important c'est de trouver une solution au dernier motif de leur conflit: qui garde la tortue? Ils n'ont pas d'enfant. Ils ont une tortue dans un aquarium domestique.
Ils ne veulent pas, par leur geste inconsidéré, leur acte d'abandon alors qu'ils sont dans les affres de la séparation, bouleverser l'écosystème, lâchant cet animal n'importe où, dans un lac de la ville.
Cette tortue qui fût leur objet de désir et qui reste aujourd'hui leur objet de discorde, leur ultime raison de s'en parler. «C'est toi qui l'a voulu, mais c'est toi qui l'a acheté, oui mais c'est bien toi qui la nourrissait, quand même on était d'accord et on s'en débarrasserait, par un même geste, tous les deux! ». Un dialogue exemplaire des dits et des non-dits et, tout compte fait, au fond de soi, on est pas près de conclure...
Le cadre est posé. Par des rebondissements et avec beaucoup de maestria, Mario de Carvalho, écrivain Portugais, nous promène dans les jardins de la ville, nous fait goûter les repas sans saveur du centre commercial des deux solitaires pris séparément. Nous faisons connaissance avec quelques personnages riches en conseils, en initiatives pour qu'ils retrouvent ailleurs leur bonheur. Une fulgurante mère qui n'a jamais eu l’instinct, donne des leçons de piano et a rencontré un jeune sportif, agent de police, qui s'efforce d'être le beau-père sauveur d'Arnaldo, démuni qu'il est du père suédois qui n'avait pas non plus d'instinct...
Par des péripéties vraisemblables -ou pas-, inattendues, la tortue finit par trouver une belle lagune, loin de la capitale, à Algarve près de la maison que le Suédois a laissé comme deuxième signe de son passage par les terres lusitaniennes.
Auteur très connu au Portugal, avec quelques livres traduits en français, Mario de Carvalho nous décrit dans l'art de mourir au loin, avec un sourire mordant, comme la métaphore de la tortue qui porte le monde sur son dos. Ce monde dont Barbara et Arnaldo ont du mal à se saisir, eux qui ont des résistances à faire place à leurs désirs, dans ce pays chargé d'histoires dont les plans paraissent souvent tirés par des tortues! Mais quelle jubilation pour une lecture apaisante, servie par une traduction de Marie-Hélène Piwnik, qui m'a semblé très juste et adapté à la touche de l'auteur.Une belle édition d'une maison indépendante québécoise.
http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/030314/la-tortue-conjugale