L’échelle des Zagoria, publié avec soin et clarté par les éditions Academia, est le deuxième roman de Marie-Bernadette Mars dont j’avais déjà lu, avec plaisir, Kilissa en 2015. Une nouvelle fois, elle nous emmène en Grèce, celle des Colonels, celle d’une guerre civile qui divise, disloque, blesse, tue mais permet aussi l’émergence des visages emblématiques de ceux et celles qui refusent, luttent, prennent des risques au nom de la Liberté. Et ici, comme dans Kilissa, le lecteur ne s’étonnera pas de constater que l’auteure confie aux femmes le soin de passer aux actes de résistance. En effet, ce sont bien Stamatia et son amie Maria qui, alors, nourrissent le besoin de rendre au Pays sa dignité et ses valeurs de justice et d’ouverture et c’est Léa, la petite-fille photographe qui, de nos jours, se mettra en route pour que s’opère ce devoir de transmission qui, l’Histoire le prouve à souhait, est souvent assuré par les femmes. Sans être féministe à outrance, Marie-Bernadette Mars est attentive à la dignité des femmes dans la vie, dans l’Histoire et elle aime souligner les rôles qu’elles sont capables d’assumer avec détermination.
Ce roman n’est pas qu’un récit d’époque. C’est aussi la recherche actuelle d’une petite-fille qui veut, avec son compagnon, partir à la recherche des traces de Yaya, une grand-mère qui perd peu à peu ses mots, son cadre, le passé qui l’a tenue debout toute la vie. « L’échelle des Zagoria » est donc un roman qui traite de la transmission des savoirs, des valeurs, des raisons de vivre et d’espérer. Un roman d’amitié intergénérationnelle, un livre de sagesse, une tranche d’humanité forte.
Au fil de courts chapitres très bien structurés, le lecteur découvre le lien qui s’est tissé entre Yaya et Léa, sa petite-fille, relation fondée sur la complicité, sur les régressions progressives de l’esprit, les pertes de mémoire et la quête des moments de vie enfouis. L’auteure décrit avec pudeur et vérité ce monde des maisons de repos où la vie s’effiloche, où les pièces du puzzle ne trouvent plus leur place, où elles s’estompent, disparaissent ne laissant souvent que désarroi, silence et perte d’autonomie.
Quand l’instant de Stamatia devient la seule vérité, celle du détail, puis celle de la confusion, de l’exact au mitan de l’imaginaire, Léa comprend l’urgence de faire parler les silences qui ont scellé la vie de sa grand-mère. Elle part donc en Grèce, pays dont elle connaît déjà tout le pan du classicisme, de l’architecture, de la mythologie et du théâtre. Mais c’est une toute autre photo qu’elle ira capter, celle d’un pays au sol rugueux, d’un pays où la politique impose à la jeunesse des choix à poser, celle d’une jeunesse courageuse, fidèle aux anciens et à leurs valeurs, une jeunesse résistante, humble et fière.
L’écriture de Marie-Bernadette est au service de son sujet. Tantôt elle l’encadre par la description quasi photographique de tranches de vie, petits bonheurs simples qui respirent la tendresse, le sens de la famille et la richesse des valeurs à partager. Tantôt au contraire, bardée d’interrogations courageuses, son écriture traduit le sombre, l’obscur, le nuisible de la violence et du non-droit qu’affichent les arrivistes, les parvenus, les frères grecques dont la noirceur de l’âme n’a d’égal que leur besoin de paraître et d’écraser autrui.
En sus, l’auteur, du bout de sa plume, pose délicatement quelques questions éthiques sur la justice, le devoir d’intervention, le poids – ou non – d’un acte, l’existence d’une faute ou pas ! Elle ne tranchera pas, c’est au lecteur à le faire, éclairé par un récit qui, in fine, a tout dit.
Puis, dans une dernière partie, Marie-Bernadette Mars partagera sa conviction, son apaisement à propos du dernier voyage… Là où vont les cendres. Le lecteur refermera ce roman en douceur. A coup sûr, avec un autre regard sur la vie et la transmission des valeurs qui lui servent de fondation.