L'édition électronique par Nébal
Je le confesse, avec une certaine honte : bien qu'étant dans un sens en plein dedans, et même si aujourd'hui c'est déjà demain, j'ai un peu de mal à m'intéresser à l'édition électronique. Quand on me parle de DRM, de liseuses, et de toutes ces sortes de choses, je fais d'autant plus facilement celui qui ne comprend pas que ce n'est guère un rôle de composition...
D'où l'acquisition et la lecture (un peu forcée...) de ce récent petit ouvrage, qui, dans mon cas désespéré, pouvait s'avérer salutaire. Quelques mots sur les auteurs tout d'abord : à ma gauche, Marin Dacos, directeur du Centre pour l'édition électronique ouverte (Cléo), agrégé d'histoire et ingénieur de recherches au CNRS, fondateur du portail Revues.org et du logiciel d'édition électronique Lodel, auteur de Read/Write Book. Le livre inscriptible ; à ma droite, Pierre Mounier, ancien élève de l'ENS, enseignant à l'EHESS, créateur du site Homo Numericus, auteur de Les Maîtres du réseau : une histoire politique d'Internet. Ensemble, ils développent le portail Hypotheses.org et animent un séminaire à l'EHESS sur les Digital Humanities. Et ici, en l'espace d'environ 120 pages, ils font autant que possible le tour de la (vaste) question de l'édition électronique.
Une question qui a plusieurs dimensions, et qui recouvre plusieurs réalités : l'édition électronique, ce peut être la numérisation d'ouvrages déjà existants sous forme de livres « physiques », l'édition numérique à proprement parler, ou même l'édition en réseau. Mais avant de se pencher sur ces trois formes d'édition électronique, les auteurs s'intéressent aux dimensions juridique et économique de la question.
Il convient en effet tout d'abord de se demander ce que devient le droit d'auteur à l'épreuve du numérique, et c'est l'objet du premier chapitre. Ici, deux logiques s'affrontent, celles du tout ou rien. Mais si le domaine public ne paraît pas extensible à l'infini, et si les DRM, trop rigides, ne semblent pas davantage fournir une solution convenable, la porte de sortie pourrait se trouver dans un entre-deux consistant à revenir aux sources mêmes du droit d'auteur : c'est après tout le principe même des licences libres, et en particulier des Creative Commons.
J'en ai été le premier surpris, mais le chapitre consacré à la dimension économique de l'édition électronique m'a paru tout à fait passionnant. J'en ai retenu, tout d'abord, la difficulté à élaborer un modèle économique satisfaisant pour l'édition électronique, puis l'idée qu'elle est soumise aux lois de l'économie des biens culturels. Mais, surtout, j'ai trouvé très intéressants les développements consacrés à la théorie de Chris Anderson sur l'économie de la longue traîne (un développement de la loi de puissance de Pareto), et ses conséquences, et notamment celle dite de « l'économie de l'attention » (p. 44) :
« Les deux règles de l'économie de la longue traîne selon Anderson sont les suivantes :
« 1) rendre chaque chose disponible (make everything available) ;
« 2) aider à la trouver (help me find it). »
D'où une pression importante à la gratuité d'accès aux biens informationnels, et l'importance des moteurs de recherche.
On passe ensuite à l'étude de l'édition électronique à proprement parler, tout d'abord avec la numérisation d'ouvrages déjà existants, c'est-à-dire la conversion vers un support numérique d'un support physique. Il y a loin de l'entreprise isolée de Michael Hart en juillet 1971 et du projet Gutenberg des origines à la numérisation de masse – industrielle, pourrait-on dire – entreprise par Google... laquelle n'a pas été sans soulever de vives réactions partout dans le monde, et, on s'en souvient, en France en particulier. Quoi qu'il en soit, la numérisation ne cesse de gagner en qualité, richesse et choix des informations ; elle autorise en outre de nouvelles fonctionnalités, qui sont autant de valeurs ajoutées : le data mining, l'éditorialisation ou encore l'interconnexion. Mais c'est là encore un projet largement inachevé.
Le deuxième pan de l'édition électronique concerne l'édition numérique : cette fois l'édition de texte est nativement numérique, mais n'est pas encore spécifiquement pensée pour les usages en réseau. C'est ici que l'on se pose essentiellement la question des liseuses et des caractéristiques du texte électronique idéal. Celui-ci doit être lisible (c'est-à-dire décrit grâce à un format ouvert, recomposable et conservable), manipulable (c'est-à-dire indexable et cherchable, copiable et collable, annotable ou inscriptible) et citable (c'est-à-dire identifiable, correctement décrit, et interopérable). Mais on voit ensuite combien les éditeurs sont encore à la traîne dans ce domaine, pour l'essentiel (si l'on excepte les contenus scientifiques).
Le troisième et dernier pan de l'édition électronique concerne l'édition en réseau : c'est ici que l'on retrouve les entreprises telles que Wikipédia, certains forums au contenu rédactionnel marqué (comme des forums de voyage), mais aussi certains blogs, et plus encore réseaux de blogs...
En conclusion, les auteurs dégagent cinq piliers de l'édition électronique : la structuration de l'information, la documentation de l'information, l'optimisation des conditions de lecture, l'appropriation par les lecteurs, et enfin le développement des interopérabilités. Mais ils notent qu'il y a à cet égard un véritable fossé de compétences qui s'étend rapidement...
En somme, un petit livre utile et finalement plutôt intéressant, qui m'a ouvert les yeux sur quelques points qu'il est aujourd'hui nécessaire de connaître. Salutaire, donc.