L'heure et l'ombre par Nébal
J'en aurais mis, du temps, avant de lire du Pierre Jourde.
(Oui, je sais, je commence un compte rendu sur trois comme ça, mais bon, voyez plutôt.)
En fait, je crois bien que, la première fois que j'en ai entendu parler, c'était à l'époque de la sortie de L'Heure et l'ombre (justement) chez L'Esprit des péninsules. Je me souviens d'une critique élogieuse dans Bifrost (même si L'Heure et l'ombre n'a franchement rien à voir avec les littératures de l'imaginaire, en-dehors d'une ou deux métaphores ici ou là), qui m'avait fait franchement envie, et noter le nom de la bête dans un coin.
Et, en bon béotien, ce n'est qu'ultérieurement que j'ai entendu parler de Festins secrets, et surtout de La Littérature sans estomac et du Jourde & Naulleau. On en parlait en bien, hein ; mais, sur moi, ça a fait un peu l'effet contraire. Pas seulement parce que Naulleau s'est révélé récemment pour le bouffon puant qu'il a toujours été, je m'en tiens au seul Jourde. Mais voilà : j'ai lu certains critiques (sur le Cafard cosmique, notamment) dresser volontiers, en se fondant sur ces deux ouvrages railleurs (que je n'ai pas lus, hein, n'oubliez pas : je ne parle toujours que d'a priori), le Valeureux Jourde Défenseur de la Vraie Littérature contre le Pathétique Houellebecq et son Commerce Inepte (les autres cibles, je m'en tape). Or, j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, moi, j'aime beaucoup Houellebecq ; certes, je n'ai aucune envie pour autant de lire son étrange compromission récente avec le sinistre BHL (mais qu'est-ce qui lui est passé par la tête ?), mais il n'en reste pas moins que je me suis jusqu'à présent régalé avec tous ses romans, et par-dessus tout l'excellentissime La Possibilité d'une île.
Autant dire qu'en ce qui me concerne, ces critiques-là m'ont fait l'effet d'une fâcheuse publicité négative, et que j'en ai probablement retardé d'autant plus ma découverte de Jourde. Certes, cette opposition – plus ou moins fondée – m'intriguait en même temps, et je pouvais y trouver une raison supplémentaire de tenter l'expérience... Mais voilà : je craignais que ces débats stériles ne laissent un peu trop s'exprimer mes préjugés, et m'empêchent de jouir pleinement de la lecture de Jourde. Aussi ai-je préféré laisser couler l'eau sous les ponts. Et ce n'est que tout récemment que, tombant par hasard sur la réédition de L'Heure et l'ombre en poche, je me suis décidé à franchir le pas.
J'en ai donc entamé la lecture, et le début m'a franchement séduit.
Ici, mes très chers lecteurs, vous vous attendez, je suppose, à ce que je batte ma coulpe, à mon habitude : mes préjugés étaient stupides, Jourde c'est bon, mangez-en, etc. Les plus fidèles d'entre vous (s'il y en a) me l'ont vu faire des dizaines de fois.
Mais là, non.
Alors peut-être est-ce bien la faute à mes préjugés. Peut-être, aussi, la rogne qui me saisit habituellement à la période des fêtes et dans mon exil dordognais avec JT imposé a-t-elle joué un rôle. Ah, et ne pas oublier que le cocktail Effexor-Abilify, c'était une très mauvaise idée, qui m'a foutu sur les nerfs comme c'est pas permis.
Mais voilà : après un (long) premier chapitre très convaincant, L'Heure et l'ombre m'a franchement déçu. Je ne suis pas certain de pouvoir le qualifier pour autant de mauvais, ce roman surprimé. Mais de « pas pour moi », sans aucun doute. Parce qu'il ne s'est pas contenté de me décevoir : il m'a également profondément ennuyé et profondément énervé. À tel point que je doute de renouveler l'expérience avant longtemps, voire de la renouveler tout court (étrange idée bien typique de mon masochisme mesquin)...
Bon.
Tentons d'expliquer pourquoi donc.
Dans ce bref (mais pas assez) roman, nous suivons donc un narrateur en quête de son amûûûûûûûr d'enfance, version Absolu. Celle qui ne parle qu'aux moins de 15 ans, ou aux plus de 40, s'il y flotte des grumeaux de nostalgie : ça tombe bien. Par un jeu de coïncidences improbables, le narrateur se voit ainsi ramené à ses souvenirs de Saint-Savin, minable station balnéaire de sa jeunesse plus ou moins dorée, et à la mignonne Sylvie. Dans un premier temps, avant que l'amûûûûûûûr ne rentre vraiment en scène, c'est assez intéressant. Quand le narrateur laisse la parole à sa compagne (à l'expression tout aussi anachroniquement précieuse, mais ça passe encore, et confère au roman une atmosphère pas désagréable), on se prend volontiers au jeu. Belle description d'un petit village de la France profonde, de cette mystérieuse petite fille, et de son plus mystérieux encore somnambule et amnésique de père. Puis les éléments se mettent en place et, de réminiscences en sauts temporels, le narrateur reprend le devant de la scène. Et c'est alors que cela devient très pénible. Jusque-là, pourtant, c'était fort bon ; j'y retrouvais un peu l'atmosphère délicieusement bizarre qui me parle tant chez un Paul Auster, par exemple (rappelez-vous – ou pas –, j'avais lu Dans le scriptorium quelques jours plus tôt...), ou, plus vraisemblablement ici, chez d'autres auteurs dont tout critique qualifié vous fera la liste exhaustive.
Et puis ça ne marche plus. Et le ton du roman (« naturalisme inversé » ?) m'a de plus en plus horripilé. Voilà un fait rare : j'ai envie de balancer à l'encontre de ce roman de ces adjectifs un peu bêtes que généralement je préfère laisser à d'autres. Mais j'ai bel et bien trouvé ce roman puant, de suffisance et de parisianisme ; et, parallèlement, insupportablement – putain, j'ai honte – bourgeois et réac, que ce soit dans le fond ou dans la forme. Tandis que les pages défilent, le roman – d'un auteur qui aime bien se regarder écrire –, au travers de ses réflexions sur le temps, etc., prend finalement, quoi qu'on ait pu en dire, des allures de quasi-essai (si pas pamphlet) prétentieux et creux, médiocrement et bêtement railleur, d'une hypocrisie et d'une fatuité rares.
Ah, c'était mieux avant...
Ah, la province...
Ah, aujourd'hui on n'a plus d'écrivains...
Ah, l'amûûûûûûûûr...
Ah, les plats cuisinés...
Ah, le rap...
Ah, les enfants d'aujourd'hui...
J'en passe et des pires.
Il y a probablement de la mauvaise blague, là-dedans, ce qui, en temps normal, ne me déplaît pas. La tonalité pompidolo-giscardienne est après tout appropriée pour les éléments les plus antiques du récit. Et la plume contournée de l'auteur, toute en épate et Valeurs Majuscules, s'accorde à merveille à la médiocrité à la fois bourgeoise et néo-romantique (mélange fatal) de ses personnages. Exercice de style, alors ? Peut-être. L'Heure et l'ombre a bien à mes yeux quelque chose d'un mauvais roman du XIXe, totalement dénué de la moindre originalité, qui aurait mal digéré les romantiques, les naturalistes et les décadents, pour n'en retenir que les pires travers, et qu'on aurait ultérieurement aseptisé par une louche de Kulture démonstrative toute contemporaine, exégèse de Proust incluse.
Visiblement, il y en a plein pour aimer.
Bon.
Je n'en suis pas.