L'oreille d'un sourd par LucetteF
'Le dernier homme'
Ça commence par un clin d'œil. Celui de John Fante en couverture du dernier recueil de Philippe Garnier. La photo illustrait un très bel article, sur trois pages, que Garnier avait intitulé 'Bilan de Fante' dans le Libération du 7 juin 2001. Mais ce long papier ne figure pas du tout dans le bouquin en question, 'L'Oreille d'un Sourd', publié par les éditions Grasset. Peut-être est-ce une façon de dire qu'il pourrait y avoir, un jour, une suite. Si vous la méritez. 'Bilan de Fante' ? Dans son introduction, Garnier explique que l'écrivain « Nick Tosches sait toujours trouver (et imposer, ce qui excite autrement notre envie et admiration) des titres d'articles merveilleux et improbables pour lesquels plusieurs d'entre nous donneraient joyeusement leur vésicule biliaire ».
Avoir entre les mains ce dernier ouvrage de Philippe Garnier, - qui regroupe des articles parus essentiellement dans Libé, mais aussi Rock & Folk et les Inrockuptibles -, procure le même sentiment que doit avoir le chercheur d'or en s'apercevant que sa mine grouille de pépites. Entre un sujet sur Louise Brooks, un sur Walter Tevis, sur 'Et au milieu coule une rivière', ou encore sur Sterling Hayden, le cœur s'accélère et l'on ne sait plus par lequel commencer. Émotions ! On peut aimer les compilations d'articles comme celles de Norman Mailer, de Joan Didion, de John Hersey, de Lester Bangs ou des français Jean Rolin ou Jean-Paul Dubois, mais une fois lues, on y revient rarement. Sauf rare exception. Garnier, lui, on n'a jamais fini de le lire et le relire. Il y aura toujours quelque chose à ronger. Ça se lit sans fin. Un de ses articles peut vous durer de très nombreuses années, le temps de dévorer les livres et de voir les films devant lesquels il vous a fait saliver.
Ce qu'il y a de nouveau aujourd'hui, pour ceux qui pratiquent Philippe Garnier depuis des lustres, c'est que dorénavant, progrès oblige, l'on peut se balader, grâce à un célèbre moteur de recherches, dans les coins, patelins et paysages avec l'évocation desquels il nous a fait rêver, lorsque nous étions des ados boutonneux. On peut maintenant se promener tranquillement sur Hollywood Boulevard et voir l'aspect qu'avait 'The World' juste avant sa destruction, le cinéma dont Garnier nous narre une pittoresque séance au premier chapitre de 'L'Oreille d'un Sourd'. Toujours avec ce moteur de recherches, le lecteur peut flâner le long de Main Street à Challis, Idaho, en passant devant le bureau de poste, la petite bibliothèque municipale (sur la sixième rue) et s'arrêter devant le 'Custer' où Garnier buvait une bière il y a juste trente ans ('De Rock Springs à Challis' – page 43). La démarche pourra paraître vaine et ridicule mais seulement à ceux qui ne savent pas que Garnier s'est farci la visite systématique de tous les bars du Montana cités dans les romans de James Crumley. (Crumley dont l'évocation clôt ce beau recueil d'articles, en une émotion qui rivalise avec celle contenue dans le superbe chapitre consacré à l'acteur Sterling Hayden). Le progrès que représente Internet permet aussi au lecteur de voir immédiatement à quoi ressemble la petite aquarelle de Charley Russell, 'Waiting for a Chinook' (chapitre 6) et de ne pas avoir ainsi à attendre quinze ans avant de trouver une encyclopédie qui en parle.
Il se trouve par contre pas mal de sites sur la Toile pour coller à Garnier l'étiquette de journaliste gonzo. Déjà qu'on ne le voit pas trop en 'journaliste', - lui qui, en tant que pigiste, n'a pas été si bien traité que cela par Libération -, on peut douter qu'il apprécie beaucoup le terme de 'gonzo'. On ne l'imagine pas non plus coller un poster de Hunter S. Thompson au-dessus de son lit. La légende dit que 'gonzo' désigne à l'origine « le dernier homme debout après une nuit entière à boire de l'alcool ».
'L'Oreille d'un Sourd' – Philippe Garnier – Grasset – 558 pages.
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