« Car je vous le dis, en vérité : avant que ne passent le ciel et la terre, pas un yod, pas le moindre petit trait, ne passera de la Loi que tout ne soit réalisé » (Mt 5, 18)
Thomas d’Aquin affirmait qu’il ne fallait pas réduire la signification de l’Ecriture Sainte à un seul sens, au préjudice des autres sens qui sont également vrais. Effectivement, l’Eglise catholique recense traditionnellement plusieurs sens à l’Ecriture : le sens littéral, le sens allégorique, le sens moral et le sens anagogique. Ces trois derniers peuvent être regroupés sous l’appellation de "sens spirituel".
Ce sens spirituel est toujours difficile à décrire et à restituer. Les techniques d’écriture symbolique furent un moyen pour les auteurs inspirés de la Bible de transmettre la teneur spirituelle et mystique de leur message. Selon les mots de Benoît Gandillot, auteur de La Bible, la lettre et le nombre, ces techniques sont pareilles à « la palette de couleurs qui s’offre au peintre pour reproduire des tons et des nuances qu’on ne voit qu’au Ciel ». Celui-ci recense dans son essai 5 grandes techniques d’écriture symbolique présentes dans la Bible :
- Les nombres-symboles
- Les lettres-symboles
- Les lettres-nombres
- Les anomalies graphiques, orthographiques
- La structure formelle du texte
Abordons brièvement quelques nombres-symboles, nous y croiserons alors en filigrane les autres techniques.
Nombres-symboles, 3 et 4
« Trois et quatre fois heureux les enfants de Danaos qui perdirent la vie devant les remparts de Troie ! ». Homère, Odyssée, chant V.
Dans les anciennes civilisations proche-orientales, le monde était constitué de 3 niveaux. Le Ciel, domaine des dieux ; la Terre, où vivent les hommes ; et les Enfers situés sous terre où vont les morts.
Ce nombre, figurant un axe vertical, était souvent associé à un temps de mort et de renaissance. Ainsi, dans la Bible, ce chiffre est-il associé à la résurrection, « De même, en effet, que Jonas fut dans le monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. » (Mt 12, 40).
L’espace était aussi distribué selon un axe horizontal, selon 4 directions principales, correspondant à nos points cardinaux. Dans le Livre d’Ezéchiel, le prophète attire particulièrement l’attention sur ce nombre. Dans ses visions, il catégorise selon le chiffre 4 : les 4 êtres vivants, les 4 ailes, 4 côtés, 4 roues… Par exemple, au chapitre 1, chaque être vivant possède 4 faces, qui inspireront par la suite les symboles associés aux 4 évangélistes (visage d’homme, de lion, de taureau et d’aigle).
3+4
Le nombre 7 symbolise en général la totalité : axe vertical (3) et plan horizontal (4). Il désigne l’abondance, la plénitude ainsi que la perfection spirituelle. Notons quelques récurrences du chiffre 7 :
=> Thème temporel : Les 7 jours de la Création. Les 7 jours de la semaine. Salomon construisit le Temple en 7 ans, etc.
=> Thème de la miséricorde (vengeance/pardon) : Jésus déclare dans les Evangiles qu’il est permis de pardonner « jusqu’à 70 fois 7 fois » (certaines traductions de l’Evangile proposent par ailleurs « 77 fois 7 fois »). Dans la Torah il est dit que si l’on tue Caïn, « il sera vengé 7 fois ».
=> 7x10 : La Tradition juive dénombre 70 nations sur la terre, à l’image des 70 personnes qui descendirent en Egypte avec Jacob (Ex 1,5).
=> Thème de la liturgie : La ménorah, le chandelier à sept branches des Hébreux, dont la construction fut prescrite dans le Livre de l'Exode, comporte 7 lampes. Il symbolise la Présence divine.
=> Le Livre de l’Apocalypse, à lui seul, compte 55 références au nombre 7 !
3x4
Le nombre 12 exprime l’idée d’achèvement circulaire, de perfection, de totalité harmonieuse, "embrassant" (et non plus ajoutant) le ciel et la terre en totalité. Quelques récurrences du 12 :
=> Thème de la perfection : Jacob a 12 fils qui donneront naissance aux 12 tribus d’Israël. Au début du Livre de l’Exode les Hébreux arrivent à une première oasis, où se trouvent « 12 sources et 70 palmiers ».
=> Thème de la totalité : Les 12 envoyés qui vont explorer le pays de Canaan ou encore les 12 Apôtres allant convertir les 70 nations.
=> Thème de la liturgie : La table des pains de proposition, dont la construction fut prescrite dans le Livre de l'Exode, comporte 12 pains sans levain. Il symbolise la Présence divine.
=> Le Livre de l’Apocalypse compte également 35 références au nombre 12 ou à ses multiples, notamment 24, 144 et 144000.
À l’aune de ces nombres-symboles, le 7 et le 12, ce passage du Nouveau Testament s’éclaire d’une nouvelle dimension, plus spirituelle :
« Vous ne saisissez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous avez le cœur endurci ? Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ! Vous ne vous rappelez pas ? Quand j’ai rompu les cinq pains pour cinq mille personnes, combien avez-vous ramassé de paniers pleins de morceaux ? » Ils lui répondirent : « Douze. » – Et quand j’en ai rompu sept pour quatre mille, combien avez-vous rempli de corbeilles en ramassant les morceaux ? » Ils lui répondirent : « Sept. » Il leur disait : « Vous ne comprenez pas encore ? »
Lettres-nombres, lettres-symboles, 22 et 17
Les hébreux accordaient une grande importance à l'ordre des lettres de leur alphabet. Ainsi, le Livre des Lamentations comprend 4 poèmes alphabétiques, qui sont structurés de façon insistante autour du nombre symbolique 22 (les 22 lettres de l'alphabet). Dans ces poèmes, chaque verset commence par une lettre dans son ordre alphabétique naturel connu. La ménorah, chandelier associé à la liturgie de la Parole, possède une particularité décorative : y figurent 22 calices en forme de fleur d’amandier. La Lumière est portée par les lettres de l’alphabet hébreu.
Notons que, de façon astucieuse, les 16ème et 17ème lettres - désignant symboliquement "l'œil" et "la bouche" - sont interverties dans plusieurs de ces poèmes alphabétiques. Il ne s'agit évidemment pas d'une erreur : l'auteur inspiré, grâce aux lettres-symboles, nous invite à scruter la parole de Dieu pour en saisir le sens plein et entier. Par exemple, par l’analyse des lettres-symboles, Benoît Gandillot décrypte la signification symbolique de chaque lettre du tétragramme, YHWH. Y = le Père, W = Le Fils, H et H = l’Esprit procédant du Père et du Fils.
Si l'ordre des lettres revêt une telle importance, c'est que les hébreux se sont servis de leur alphabet dans le but d'attribuer une valeur numérique à certains mots. En additionnant la valeur de chaque lettre formant un mot on obtient un chiffre qui lui est attribué.
Ainsi le mot "jour" - yôm en Hébreu - chiffre 40 (YWM=10+6+24 ), tout comme le mot "année", shanah (ShNH=21+14+15). 40 est un nombre-symbole bien connu dans la Bible… Retenons surtout, pour la suite de cette critique, le nombre associé au tétragramme divin YHWH, à savoir le 17 :
=> L’âge des patriarches bibliques (Abraham, Isaac, Jacob, respectivement 175, 180 et 147 ans) est obtenu à l’aide d’un algorithme consistant en la décomposition du chiffre 17 en 3 nombres qui sont ensuite multipliés entre eux (un nombre premier et une paire). Par exemple Abraham, 175 ans = 7x5x5 (7+5+5=17).
=> L’algorithme utilisé pour les patriarches s’applique également à la valeur numérique du premier et du dernier mot de la Torah, qui encadrent donc le nom des patriarches. Elle s’ouvre avec Élohim (52=13x2x2) et se conclut par Israël (64=1x8x8).
=> Le Livre des Lamentations possède une structure formelle cachée dont les parties, au nombre de trois (délimitées par deux césures visibles), s’articulent autour du chiffre 17. Les parties 1 et 3 (68 versets chacune = 4x17) encadrent la partie 2 (constituée de 51 mots = 3x17 articulés autour du verset 34 = 2x17). Ce 34ème verset, dont le message est ainsi mis en relief, est justement au cœur du revirement de ton du Livre des Lamentations (renaissance de l’espoir pour Israël).
La gloire de 17 = 153
L’histoire attribue à Pythagore la paternité de la fameuse "addition théosophique". De quoi s’agit-il ?
À tout nombre n peut être associé un autre nombre qui est égal à la somme de tous les nombres de 1 à n. La Tradition parle d’addition théosophique mais il existe d’autres appellations moins connues : triangulaire de ou gloire de (par exemple, la gloire de 10 est égal à la somme des nombres de 1 à 10, donc 55).
Cette addition possède, dans le système symbolique, un sens d’engendrement ou d’accomplissement (d’où l’expression « gloire de »). Ainsi, la gloire de 10 comprend tout ce qui est en germe dans 10, soit l’accomplissement du 10. La tradition hébraïque, comme Pythagore, s’est servie du triangulaire des nombres pour établir des affinités numériques entre certains mots.
Quel chiffre est donc associé à la gloire de 17 ?
1 + 2 + 3 + … + 16 + 17 = 153.
=> La durée de vie cumulée des 4 premiers patriarches (en y ajoutant Joseph, 110 ans) est égale à 4x153 (4 fois la gloire de 17, donc).
=> La cellule familiale qui initie l’Alliance avec Dieu est constituée d’Abraham, de Sarah et de leur fils Isaac. En additionnant la valeur numérique attribuée à chaque nom propre on tombe sur 153 (52+46+55).
=> Dans le Livre d’Élie, le prophète est confronté à 3x51 soldats envoyés par le roi Ochozias (le chiffre 153 n’est pas donné en clair dans le texte). Le message de ce passage est la miséricorde divine, le combat spirituel et la conversion.
=> Les manuscrits de la mer morte découverts en 1947 relatent la chronologie précise de l’épisode du Déluge. Il y est fait mention de 153 jours de décrue (décomposés en 150+2+1). Le symbole est la régénération du monde et la purification nécessaire de l’humanité.
=> L’Evangile de Jean, dans l’épisode de la "pêche miraculeuse", est plus précis que les "synoptiques", car il insiste sur le nombre de poissons que les apôtres retiennent dans leurs filets : 153.
=> Le Livre de la Genèse mentionne le tétragramme divin (YHWH) 153 fois.
=> L’expression célèbre ouvrant la Genèse (« Au commencement Dieu créa… ») débute par une anomalie graphique : la lettre B est majorée (il n’existe pas de distinction entre lettres "majuscules" et "minuscules" dans l’alphabet hébraïque). Si on double la valeur numérique de la lettre B (2x2) l’expression qui ouvre la Bible chiffre 153 = 2x2 + 20 + 1 + 21 + 10 + 22+ 2 + 20 + 1 + 1 + 12 + 5 + 10 + 24
L’existence de deux niveaux de lecture du Texte sacré (qu’on nomme grossièrement "l’esprit" et "la lettre"), rendue manifeste dans le livre de Benoît Gandillot, est en fait suggérée à l’intérieur même des Ecritures. Notons que la remise des Tables de la Loi à Moïse se fait à deux reprises. Il est précisé plus loin que les Tables sont « écrites des deux côtés, sur l’une et l’autre face » (Ex 32, 15).
« A tout lecteur qui imaginerait que la recherche rationnelle sur le sujet des « codes de la bible » a soulevé une partie du voile qui cachait cet ultime mystère, je présente toutes mes excuses. Je répondrai que rien n’est moins vrai. N’ayez pas peur ! Mes recherches ont laissé intact le contenu des Ecrits bibliques. Ce que je voulais, c’était juste attirer votre attention sur le merveilleux travail de composition littéraire du Livre des livres. L’objet de ma recherche, c’était la jarre en terre cuite, pas les joyaux qu’elle contenait, l’emballage, pas le contenu. Ce que j’ai voulu sonder, c’est l’exquise complexité du texte biblique, pas le mystère qui se cache derrière ; ce mystère est le plus profond, le plus insondable que l’on puisse rencontrer. » (K. Labuschagne, Les secrets numériques de la Bible).