Ayerdhal, ce nom me disait quelque chose, j'avais déjà lu d'excellentes critiques concernant ses romans dans la revue « Phénix » (elle-même excellente d’ailleurs).
Comme j’avais quelques à priori sur la science-fiction actuelle et que l'occasion ne s'était pas vraiment présentée, je n’avais rien lu de ce monsieur. Jusqu’au jour où j'ai fait la connaissance d'un type qui en est fou et qui pour me convertir me prêta « la bohème et l'ivraie ». Je doit dire que j’ai été très agréablement surpris. Bien sûr, on n'échappe pas à l'utilisation de termes bizarres comme « ansible », « agrave », « kineïre », et des noms imprononçables comme Gesanne Wval, Perric Oxaa ou Galliê Peil Daugh. Ceux qui seraient découragés par ce jargon passeraient à côté d’un grand roman.
L'histoire se déroule à une époque indéterminée. Les humains ont colonisé la plupart des planètes d’un grand nombres de systèmes stellaires et cet ensemble est chapeauté par une sorte de gouvernement central appelé l'Homéocratie. En plus de ces décideurs, il existe un autre organisme très puissant, le Comité Ethique.
Sur une planète appelée Chim‘ se trouve l’Institut qui forme des kineïres. Qu’est ce que c'est que cette chose bizarre ? Et bien pour simplifier et résumer ce sont des humains qui font office de super-projecteurs de cinéma. Ils sont capable de faire vivre au public les créations qu'ils inventent. Les spectateurs, sous l’effet d’une substance appelée amplikine sont aptes a recevoir les images, les odeurs, les pensées, les émotions, la douleur, . envoyés par le kineïre directement dans leur cerveau. C’est donc un spectacle total, que l'on vit plutôt que l'on y assiste.
L’institut est plutôt figé, les étudiants qui en sortent voyagent dans l'Homéocratie en exhibant des spectacles qui sortent tous du même moule et qui, bien qu'impressionnants, n'ont aucun impact durable. Le roman commence avec l’exclusion d’Ylavain de Myve de cet institut après sa première année de formation. Les raisons de l'exclusion ? La petite projection qu'il a présentée en fin d’années devant les professeurs n’était pas du tout orthodoxe. Il est doué, très doué pour projeter, mais ce qu’il projette déplaît.
Le livre raconte alors sa lutte pour pouvoir librement exprimer ses créations. Il lui faudra trouver les moyens de parachever son enseignement, ce qu’il fera grâce à diverse rencontre avec Tomaso et la belle et destructrice Ely notamment.
Derrière cette histoire, qui peut paraître simpliste ainsi résumée, on trouve des idées politiques et philosophiques vraiment intéressantes. Chaque chapitre commence par un « aphorisme bohème », une petite réflexion parfois un peu provocante, toujours intelligente. Cette présentation fait un peu penser à celle de Bernard Werber qui met des extraits de « l’encyclopédie du savoir relatif et absolu » dans sa trilogie des fourmis. La comparaison s’arrête là car Ayerdhal a vraiment une bonne plume (point sur lequel ce cher Bernard est quelquefois un peu limité à mon sens), on ne s'ennuie pas une seconde durant la lecture de ces 600 pages, mais en plus de nous divertir, il parvient à créer tout un monde et son système politique de façon cohérente.
Ce livre est un hymne à la liberté et à l'ouverture d'esprit, je le recommande à tous et particulièrement à ceux qui se croiraient allergique à la SF !
En conclusion un petit extrait des paroles d'Ylvain au recteur qui lui signifie son renvoi : « Lève les yeux kineïre et regarde ! (D'un mouvement du bras, Ylvain embrassa les milliers d’étoiles que la nuit commençait à révéler.) Il est quoi là dedans ton Institut, recteur ? D'où va surgir l’entropie ? Quand va-t-elle vous rattraper ? L’Homéocratie croît et plus elle croît, plus ses mouvements sont lents, plus ça bouge en elle. Je ne sais ni quand, ni d'où, mais dans cette extension, dans cette dispersion, surgira votre prédateur, né de votre inertie, et qui vous écrasera comme vous m'écrasez. Continuez donc à attendre. Moi, je vais le chercher. »