J’ai bien aimé ce troisième roman de Nicolas Maleski pour plusieurs raisons. Déjà, il y a cette façon de poser un environnement pas très sûr.Tout ce qu’on sait de Carson Ville est qu’il s’agit d’un village de montagne qu’on situerait plutôt aux Etats-Unis. Ensuite l’auteur y organise sa propre géographie des lieux avec des endroits nommés Palissade, Indépendance ou Corniche.A force de les lire, ces endroits ,où le narrateur traîne ses guêtres, deviennent familiers sans qu’on puisse avoir une idée de leur existence avérée car peu de détails sont donnés à leur sujet. C’est une façon géniale d’occuper l’espace et de faire à la fois douter de sa vérité.Carson-ville la bien nommée,à cause d’une marque de bière,symbolise la ville américaine/canadienne moyenne et ultra provinciale avec ses commerces, son équipe de hockey et son tournoi de tennis annuel. Sans oublier des familles locales se côtoyant depuis toujours et établissant leurs rapports entre vérités et faux-semblants. Un genre de microcosme du Luzagne d’Alex Hugo. Le narrateur de la force décuplée des perdants est Jeff Canon.Ayant fait des études de géologie n’ayant pas débouché sur un métier,il vivote grâce à un boulot de plombier avant de vivre en dilettante entre des boulots plus ou moins légaux, le dessin et ses parties de jambes en l’air.C’est le premier perdant en apparence de cette histoire face à des amis prospères ( dont un tenant magasin de sport ), mariés avec des enfants. Son sort lui convient parfaitement jusqu’au jour où il se met à remettre en question les gens de son entourage et à réaliser que certaines magouilles diligentées par le maire de son bled sont vraiment « incroyables ».Il le réalisera grâce à Norbert, autre perdant de Carson-Ville, célibataire endurci malgré lui et accessoirement responsable de la chronique sportive du Carson-Journal. Ce qu’il faut lire entre les lignes dans la Force décuplée des perdants, c’est que Jeff à travers Norbert, à priori si éloignés de caractère, va comprendre qu’ils font partie d’une communauté qu’ils subissent en silence, qu’on les reconnaît socialement comme de bons gars prêts à recueillir les confidences et qui ne sont pas dangereux s’ils restent dans leurs coins sans faire de vagues.Ce que Nicolas Mareski décrit avec brio, c’est le refus de ces deux mecs de rester à leur place jusqu’au bout et de prouver que leurs ressources personnelles vont leur permettre d’abattre leurs cartes, chacun dans leur propre style. Dépositaire d’une littérature retorse, l’écrivain utilise l’écrin à priori rassurant de la ville et de ses habitants, pour en faire jaillir un environnement malsain et toxique par moments. On pourra reprocher à Nicolas Maleski de reprendre la codification propre au western. Il demeure que sa façon de forger son style avec des expressions inédites, de faire dire à ses personnages Mist, Trash ( pour ne jamais dire Putain de merde!), de chercher à rendre le familier angoissant où le sexe défoulant à défaut d’être satisfaisant ne rend pas indifférent. La littérature de Nicolas Maleski a aussi le mérite de ne pas trop rassurer son lecteur et de lui faire vraiment chercher ce qui fait sens dans ce qu’il lit.Si cette perspective vous tente, il est donc urgent d’aller faire un tour à Carson-Ville.