Une lecture inattendue qui change votre vision du monde et de l’Histoire.
Georges Bernanos signe un pamphlet d’une intensité et d’une acuité rare. Alors que la Seconde Guerre mondiale s’achève et que le monde se remet difficilement de sa gueule de bois après avoir mis à terre la bête immonde, Bernanos est en colère. « Imbéciles ! » répète-y-il a l’envi. Cette guerre, il ne la conçoit pas comme une exception, comme une erreur historique, fruit de circonstances et de personnalités réunies au mauvais endroit au mauvais moment. Pour Bernanos, les deux guerres mondiales sont le fruit du système actuel qui les a engendré et s’apprête à engendrer d’autres conflits dans les années et décennies à venir.
Ce système, il le définit comme la « civilisation des machines ». Un système dans lequel la science été dévoyée par les économistes libéraux pour produire et consommer toujours plus. Un système implacable qui épuise les ressources, désenchante le monde, asservit les humains et les soumets aux lois de la vitesse et de la surconsommation. Les capitalistes sont évidemment dans sa ligne de mire, mais fascistes et marxistes, derrière leurs masques, jouent le même jeu. Et Bernanos d’annoncer l’arrivée de la guerre froide, l’opposition des impérialismes américains et soviétiques, leur quête d’une surenchère technologique folle et insensée.
Pour l’écrivain, cette surenchère matérialiste et technologiste se fait aux dépens de la vie intérieur et de la Liberté. Et de dénoncer les institutions étatiques envahissantes, la conscription militaire et les systèmes policiers censés encadrer les ersatz de démocratie qui gouvernent l'occident. Ceux-là même, pourris dans leurs racines, qui entretiennent le système vicieux de surconsommation et de machinisme à outrance. Celles-là mêmes qui transforment les hommes en machines obéissantes et serviles.
Amoureux de son pays, Bernanos manque peut-être d’objectivité. Nous prendrons cela pour un manifeste plutôt qu’un constat historique objectif. Il dépeint une France qui avait tous les atouts pour s’opposer au développement de cette civilisation inhumaine qui s’annonce. Une France spirituelle, dotée d’une langue poétique et raffinée, pétrie d’idéaux de liberté, inspiratrice du monde dans le domaine des arts, des sciences et de l’architecture. Et cette France s’est tirée une balle dans le pied en ratant sa révolution en 1789. En s’empêtrant avec les autres dans la révolution industrielle alors qu’elle avait les moyens de développer un monde plus juste, plus proche de la nature et où la liberté n’était pas un vain mot.
On ne ressort pas indemne de cette lecture. Et c’est tant mieux. Dans une certaine mesure, Bernanos préfigure les mouvements écologistes, de décroissance, de questionnement de la démocratie (prétendue) libérale, de rejet de l’Etat-policier ou de méfiance vis-à-vis de l’aliénation par la technologie. Un opuscule brillant et visionnaire. A lire, à relire et à faire lire. Pour ne plus être un « imbécile » broyé par une civilisation humaine à la dérive.