L’accueil citoyen est un des défis majeurs du XXIe siècle . Laure Naimski l’aborde dans son second roman « La guerre en soi ». Un intéressant regard de l’autrice sur le vide, la colère, la déraison que peut provoquer la perte d’un enfant. Et quand je parle de déraison, c’est l’attribution causale à laquelle Louise, l’antihéroïne de ce roman, se rattache pour expliquer sa vie. En ligne de mire, le divorce entre la France et ses migrants … mais aussi entre n’importe qui, de n’importe quel pays, de n’importe quelle époque et les rejetés-défavorisés-mal aimés-refoulés du moment. Un livre fort!
Louise est assise au sein du cercle des boit-sans-soif, cherchant à se libérer de ce poids du vide. Docile, absente, prisonnière de ses pensées, elle répond aux blouses blanches qui la questionne, voulant sans cesse qu’elle explique ce qu’elle vient de dire. Eux, les spécialistes qui se cachent dans ces blouses blanches, ils se gardent bien d’expliquer… ils notent, ils notent. Et ils gardent bien leurs interprétations pour eux.
En fait, Louise n’attend rien de ces séances. Depuis longtemps, elle est morte à l’intérieur. Comme son fils. Il est mort. Ce sont eux qui l’ont tué. Eux, c’est qui? Peu importe, c’est eux. Il faut bien des coupables, non?
La colère remplit le vide. La déraison nourrit la colère. C’est juste. Juste comme cela que ça doit être. Pour que la vie continue. Eux, ce sont les migrants. Ils n’en savent rien. Mais c’est eux. Ils lui ont pris son fils. Pourquoi son fils a-t-il voulu les aider? Parce qu’ils l’ont pris. Si ce n’est pas eux, c’est qui? Pas elle, tout de même. Il faudrait alors qu’elle se confronte à la mère qui n’a pas été à la hauteur. Impossible d’imaginer cette piste. Une mère qui n’existe plus que pour la recherche de son fils ne peut accepter l’idée qu’elle doit d’abord se trouver elle-même! Et s’adjoindre l’alcool pour compagnon de quête n’est sans doute pas la meilleure idée. Elle n’en a pas d’autre.
Cette tragique histoire d’une attribution causale épidermique trouve un terrain propice dans l’écriture de Laure Naimski. Hachée, incisive, emportant tout dans des phrases aux structures basiques, sans nuances, pleine de la réalité désespérante vécue par Louise. L’adéquation entre le thème, son traitement et l’écriture est puissante, efficace. Le débit des idées, ‘hoqueteux‘ et réservé à souhait est en symbiose avec le processus du cercle thérapeutique.
Si, au début, le lecteur peut être quelque peu déconcerté par le style de l’autrice, il comprend très vite que l’écriture est découpée, non décousue. Tout se tient. Et pourtant, rien n’est scellé. Elle a choisi une tête expiatoire… Ira-t-elle jusqu’au bout? La fin, en elle-même, est une perle. Le procédé est connu, laisser le soin au lecteur de deviner la suite du récit au-delà du point final… Mais il est tellement juste, dans ce cas. La colère peut-elle tomber? Un soleil, un sourire peuvent-ils renverser une vie déjà à terre? …
A vous de lire et de vous en faire une idée!
Merci à Babelio et aux éditions Belfond pour leur confiance.